Lemaitre est éternel

Cinq ans après sa médaille de bronze mondiale à Daegu, Christophe Lemaitre signe un nouvel exploit en montant sur son premier podium olympique en individuel. En 20’’12, il prend la troisième place du 200 m à Rio. Il revient de très loin.
C’est le cassé d’une vie. Ce geste instinctif, qui ne s’apprend pas dans les écoles d’athlétisme, lui avait déjà offert d’immenses bonheurs sur 200 m, avec un titre mondial chez les cadets en 2008 à Bydgoszcz, et une victoire lors des championnats d’Europe de Barcelone en 2010. Ce jeudi soir, il a mené encore plus haut Christophe Lemaitre. Jusqu’à la médaille de bronze olympique, cinq ans après sa troisième place mondiale aux Mondiaux de Daegu, que, soyons honnêtes,
beaucoup voyaient comme le sommet de sa carrière. En 20’’12 (-0,5 m/s) d’effort, le sociétaire de l’AS Aix-les-Bains a réalisé une course qui résume son parcours, celui d’un sprinter qui n’a jamais rien lâché. Placé au couloir 7, juste devant Usain Bolt, il s’attendait à sentir rapidement le souffle du Jamaïcain dans son cou. Mais le voir à ses côtés au bout d’à peine cinquante mètres lui met un coup au moral. « Quand il m’a passé, ça m’a tué, raconte Christophe. Il est revenu très vite dans
le virage et je me suis dit : oh punaise, ça pue pour moi ». A distance de Bolt (19’’78) et du Canadien Andre de Grasse (20’’02), le Français, d’abord légèrement en retrait, se retrouve au coude-à-coude avec tous les autres concurrents dans la ligne droite. Moins saignant qu’en demi-finales, il se bat comme un mort de faim. « J’ai du mal à enchaîner, je dois batailler. Je suis à la bagarre avec Churandy (Martina), je pioche. Je sais que s’il est devant moi, je ne suis pas sur le podium.
Il faut à tout prix que je le passe. » A l’arrivée, les écarts sont infimes. L’athlète entraîné par Pierre Carraz se jette sur la ligne les bras en arrière, en même temps que le Hollandais Martina à son extérieur et que le Britannique Adam Gemili, placé au couloir 2.
Devant Gemili au millième

Commence une longue attente, les yeux rivés sur le panneau électronique. Jusqu’à la délivrance, lorsque le Tricolore voit son nom apparaître en troisième position sur le panneau d’affichage. En 20’’12, il termine dans le même centième qu’Adam Gemili, mais il le devance au millième. Martina, lui, échoue un centième derrière les deux hommes. Christophe Lemaitre hurle, joie et rage de vaincre mêlés, et s’écroule au sol, comme terrassé par l’exploit
qu’il vient de réaliser. Puis il se relève et se dirige immédiatement vers Gemili, pour lui glisser quelques mots de réconfort. En difficulté depuis trois saisons, régulièrement perturbé dans sa préparation par des pépins physiques, le recordman de France du 200 m n’a jamais cessé de croire en son retour au plus haut niveau. Le voilà médaillé olympique en individuel pour la première fois de sa carrière, cinquante-six ans après la troisième place d’Abdou Sèye sur 200 m aux J.O. de Rome. « Cette récompense
n’a pas un goût de revanche, mais plutôt de renaissance et de résurrection, confie Christophe. J’espère que ça ne sera pas un one shot, que ça va se confirmer dans les années futures. Ce retour au premier plan, je l’ai fait juste pour moi. J’ai arrêté de courir pour essayer de prouver quelque chose aux autres, j’ai voulu courir pour moi-même, pour ma gueule. Et ça m’a réussi. »

Des années de galère
L’insouciance de Barcelone est aujourd’hui bien loin. Mais il paraît tellement plus épanoui, le Christophe Lemaitre d’aujourd’hui, âgé de vingt-six ans. Sincère, drôle, émouvant. Un peu philosophe, aussi : « Les années de galère m’ont peut-être fait du bien. J’ai eu des moments de doute qui m’ont fait réfléchir. J’ai essayé de me métamorphoser en quelqu’un d’autre pour réussir ce que je devais faire, en vivant ma passion sans me prendre la tête, en m’amusant.
» C’est beau, un sprinter heureux.
A Rio, Florian Gaudin-Winer pour athle.fr
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