Kevin Mayer : « Un décathlon, ça dure une vie »

Après son titre mondial à Londres avec 8768 points, Kevin Mayer oscillait entre euphorie et soulagement. Retour sur deux jours d’émotion et de passion avec le Rhônalpin, qui s’est confié avec un recul étonnant devant la presse, le soir-même de sa victoire.
Kevin, qu’avez-vous ressenti à l’arrivée du 1500 m, dernière épreuve du décathlon ?
Mon premier sentiment, ça a été énormément de calme après la tempête. Il y a eu tellement de pression au cours de ce dernier mois. Il n’y a pas eu un seul moment de tranquille, où je ne pensais pas aux Mondiaux. Et là, c’était enfin fini. Pouvoir enfin relâcher la pression en étant champion du monde, c’était quelque chose d’assez plaisant. Il n’y avait pas d’émotion. Juste un sentiment de plénitude totale.
Quel a été le moment le plus difficile lors de cette compétition ? La perche ?
Evidemment. Je pense que j’ai réalisé le saut de ma vie. Je suis tombé à Marseille (ndlr : lors des championnats de France Elite) et j’ai perdu en préhension de la main. Je me suis brûlé et je n’arrivais plus à serrer la perche. J’étais perdu dans mes marques, j’arrivais soit trop près, soit trop loin. Je ne pouvais plus du tout sauter sur quatorze appuis. Je me suis donc mis sur dix foulées. Ce troisième essai a été le moment le plus intense de ma vie. Ma grand-mère, qui était dans les gradins, a une forte tension.
Je l’ai regardée après mon saut pour voir comment elle allait. C’était un soulagement tellement énorme de passer. Tout se jouait là. J’ai eu de la chance, de la réussite, je ne sais pas ce que c’est, et je ne veux pas le savoir (rires).
Que se passe-t-il dans votre tête avant ce troisième essai ?
Je le dis souvent, mais là, je me faisais vraiment dessus. Ça n’était même pas de la peur. J’étais tétanisé. A partir du moment où je prends la perche puis jusqu’au piqué, je me dis juste : Tu joues ta vie, tu joues ta vie, tu joues ta vie…
Avez-vous eu le temps de savourer votre victoire lors du 1500 m ?
Je commençais à avoir des crampes aux ischio-jambiers avant la course. Je n’étais pas vraiment frais. Je me suis dit : essaye d’en profiter. Puis j’ai senti les crampes. Je suis bien parti, ensuite, c’était le compte à rebours. Plus que trois tours avant d’être champion du monde, plus que deux, plus qu’un… Je n’arrivais plus du tout à donner un tempo. Je n’avais que l’espoir de passer la ligne d’arrivée. Le temps, je m’en foutais complètement.

A qui avez-vous pensé après votre sacre ?
A mon staff et aux deux personnes les plus importantes pour moi, Bertrand Valcin et Jérôme Simian, qui font un travail exceptionnel. Je suis de moins en moins blessé, de plus en plus technique et compétiteur. Ils mettent tout en place pour que je sois bien. J’ai pensé aussi à tout mon entourage, qui me supporte quand je suis stressé, ce qui n’est pas facile. Sans eux, je n’en serais pas du tout là.
Sur le podium, on vous a vu verser quelques larmes…
Ça a été le moment où l’émotion est ressortie. Il a eu lieu juste après le 1500 m, ce qui était un énorme cadeau. Avec en plus la team Kéké la braise qui était juste à côté et qui chantait comme des fous. Cette Marseillaise me fait toujours chialer, quel que soit l’endroit. Ça me rappelle tout ce que j’ai accompli depuis dix ans et mon arrivée à Montpellier. Le décathlon, c’est dur, mais c’est une passion. Mais on vit des choses tellement atypiques entre décathloniens, tant humainement que physiquement, qu’on
se comprend les uns les autres et que c’est pour ça que l’on devient tous potes.
Avez-vous trouvé l’ambiance particulière à Londres ?
Pour moi, c’est le plus beau public du monde. Il a été exceptionnel. Je ne suis pas Anglais mais j’avais l’impression d’être chez moi. Ça a été des moments que je garderai en mémoire toute ma vie.
Quels sont vos prochains défis ?
Je ne me lance jamais de défis. Je m’entraîne tous les jours pour être plus fort le lendemain. Ma plus grosse motivation dans l’athlétisme, c’est de sentir que je progresse chaque année. Cette saison, on a vu que j’ai beaucoup gagné en puissance. J’ai battu mes records dans toutes les courses. Il y a encore énormément de choses à travailler. C’est ça qui est énorme. Je sens que je peux encore largement progresser. Je prends en maturité lors de chaque décathlon. Pour vous, ça dure deux jours. Mais pour moi, ça
dure une vie.
Propos recueillis par Florian Gaudin-Winer pour athle.fr
Retour en images sur le sacre de Kevin Mayer

Photos : © J. Crosnier / S. Kempinaire (KMSP)
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