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NUMERO 578 - OCTOBRE-NOVEMBRE 2018 |
« On a su évoluer ensemble »
À 37 ans, Bertrand Valcin vient de boucler une dixième saison mémorable en tant qu’entraîneur de Kevin Mayer. Le cadre technique revient avec humilité sur la progression phénoménale de son protégé, ainsi que sur leur fonctionnement à plusieurs voix. Rédacteur : Camille Vandendriessche
Athlé Mag : Comment a débuté votre collaboration avec Kevin ?
Bertrand Valcin : Kevin est arrivé à Montpellier un mois avant moi. Il est venu pour la reconnaissance nationale du pôle, qui avait déjà eu de nombreux résultats, sans forcément aller vers un entraîneur précis. De mon côté, j’étais professeur de sport stagiaire, avec l’envie d’intégrer un jour cette structure si possible. Tidiane (Correa), qui partait vers un poste de chargé d’athlétisme en Afrique francophone, m’a proposé de le remplacer et m’a recommandé auprès de Jean-Yves (Cochand). Avec Kevin,
on ne se connaissait pas. J’étais très peu au fait des épreuves combinées. J’avais juste entendu parler de lui et de son caractère de grand compétiteur en championnats. Lui ne me connaissait pas du tout et avait une petite part de doute sur qui allait l’entraîner. Il y a eu un temps d’adaptation assez court parce qu’on a tout de suite eu un bon feeling ensemble. Je n’avais pas forcément une âme de combinard, mais ma « faiblesse » est devenue une force. Cela m’a permis de travailler sur moi et de continuer ma
formation. J’apprends des grands champions comme Romain (Barras) ou Kevin. Je ne cherche pas à reproduire les choses, mais à me nourrir de leurs sensations pour progresser.
Quel niveau avait-il alors, en 2008 ?
Physiquement, il n’avait rien d’impressionnant. Ce n’est pas quelqu’un de très rapide à la base. Il a une qualité d’impulsion, mais on a déjà vu des gamins du même niveau. Après, sa capacité en grande compétition à passer à 100 % au moment où il le veut, c’était autre chose. Il l’a toujours eue, on ne lui enlèvera jamais. C’est inné ou acquis, et je surfe là-dessus. Je tiens d’ailleurs à reconnaître le travail du club formateur (EA Tain Tournon) et de Xavier Berthet, son ancien entraîneur, qu’il l’a encouragé
à venir sur Montpellier. Il est arrivé sans défaut de base. Je n’ai pas eu besoin de tout déconstruire. On est parti de ses acquis, qu’on a peaufinés avant tout, pour maîtriser les fondamentaux techniques et avoir quelque chose de solide dans les situations de stress. Il a très vite pu les développer et progressivement aller plus loin. Ensuite, on a commencé à amorcer le travail physique, qui s’est renforcé à partir de 2014 avec la présence de Jérôme Simian.
Comment vous êtes-vous réparti la tâche avec Jean-Yves Cochand ?
Mon souhait, c’est de toujours travailler en binôme. Jean-Yves avait la main au moins sur le disque, le javelot et la perche. Il avait aussi une position de recul quand je coachais d’autres disciplines, toujours dans l’échange et la complémentarité. Après, on a fait le choix, Kevin et moi, de se tourner au fur et à mesure vers des spécialistes, sans qu’il y aille seul, pour pouvoir progresser au même rythme que lui. Pas sur toutes les disciplines, mais surtout avec Serge Debié pour le disque et une fois pour
le poids, Philippe d’Encausse et ponctuellement Gérald Baudouin à la perche. Sur deux-trois ans, cela représente une douzaine de séances au total. Ce n’est pas énorme, mais une des forces de Kevin est qu’il suffit parfois d’une séance pour enclencher quelque chose et donner de bonnes bases de travail. Il a vraiment cette capacité à entendre, capter et, sans chercher à reproduire, à s’approprier les choses et à aller au bout tant qu’il ne les a pas maîtrisées. Il voit toutes les expériences auprès de grands champions
comme Romain, Mélina (Robert-Michon), comme un accélérateur de performance. Avec Jean-Yves, quand on le coachait à deux sur une discipline, il prenait les mots qu’il voulait, assemblait le complément pour construire sa propre performance. Avec Jérôme (Simian) aussi, on utilise les deux discours pour trouver le bon mot quand il faut.
Comment décririez-vous l’apport de Jérôme Simian ?
Au début, c’était plutôt sous forme de conseils, quand Kevin avait des problèmes de dos. Il a vite ressenti les effets bénéfiques de sa préparation pour soulager ses blessures et eu une très bonne accroche avec lui. Jérôme est quelqu’un qui pouvait paraître me faire de l’ombre au départ, mais à partir du moment où on a su travailler ensemble, on a atteint un équilibre. Je peux lui apporter des contenus et des retours, et il peut donner son opinion sur les gestes de Kevin parce qu’il a un bon œil. Au disque, par
exemple, Kevin avait tendance à relâcher le bas du dos et à tirer de la tête par manque de puissance en jambes et de tenue du tronc. Il a renforcé [ces aspects] avec Jérôme et modifié son geste, ce qui a été une grande source de progrès.
Quels ont été les autres changements majeurs dans sa préparation ?
L’an dernier, on a vraiment mis l’accent sur les haies pour passer de huit à sept appuis [au départ] et faire évoluer son élan réduit vers une vraie course d’élan au javelot. Çela a tout de suite payé. Cette année, on a travaillé son engagement sur les dix dernières foulées en longueur. À partir du moment où on le met sur la table, on discute et on trouve une vision commune, on fonce et on va au bout des choses, lui le premier. Souvent, on avait la même vision, mais on n’utilisait pas les mêmes mots. Dans ces
périodes-là, il peut y avoir un peu d’agacement. À partir du moment où on prenait le temps de discuter, parfois avec Jérôme, ça nous permettait de partir dans le même sens, et Kevin savait concrétiser à chaque fois. Quand il a quelque chose en tête, il va bouffer des vidéos pendant une journée, analyser ce que font les spécialistes et les recordmen du monde, comme par exemple Jan Zelezny, et se mettre à leur place.
Dans quel domaine a-t-il le plus progressé selon vous ?
Le sprint. À la base, ce n’est pas quelqu’un de rapide. Il a maintenant les moyens de s’exprimer et de sentir cette capacité à presque « cogner » la piste. J’ai une grosse reconnaissance pour le travail de Jérôme, car les progrès de vitesse sont surtout liés à une approche musculaire et un renforcement de la puissance. Cela lui donne une dimension mentale supplémentaire.
Le record du monde de Talence est-il le fruit de ce fonctionnement harmonieux ?
Pour arriver à cette performance, j’ai l’impression que tout ce que j’ai voulu mettre en place avec lui a marché. Malheureusement, je n’ai pas le même résultat avec les autres athlètes ! Dans mon coaching, on a su évoluer ensemble. Aujourd’hui, moins j’en dis, mieux ça se passe. Je suis là pour l’instant où il peut y avoir un petit dérapage ou un besoin de réaction du coach. J’ai appris de Kevin qu’en compétition, il fallait vraiment aller vers la simplicité. Il a besoin de mots-clés faisant référence à des sensations
à l’entraînement que je vais pouvoir réutiliser en compétition, dans les moments de stress. Au Décastar, après le deuxième essai du javelot, il vient me voir en me disant : « Je suis perdu, aidez-moi ! » Je savais ce qu’il avait besoin d’entendre. Le mot-clé, c’était simplement de tout mettre dans la pointe. Il faisait tout bien, mais il n’y avait pas son intention-clé, ce qui l’empêchait d’aller au bout de lui-même.
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