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NUMÉRO 587 - AVRIL-MAI 2020 |
Cyréna Samba-Mayela : Une artiste en piste
Passionnée de dessin et de musique, Cyréna Samba-Mayela, 19 ans, fourmille d’idées et de centres d’intérêt. Mais elle a décidé de se consacrer à 100 % à l’athlé, son métier. Avec succès puisque, après deux saisons gâchées par les blessures, elle s’est adjugé cet hiver les titres nationaux espoirs et Elite sur 60 m haies.
Le jour où Cyréna Samba-Mayela a rencontré son actuel entraîneur Teddy Tamgho pour discuter d’une éventuelle collaboration, il y avait du sucre en poudre sur la table. La hurdleuse en a pris une poignée et a commencé à saupoudrer la surface lisse. Un chien est apparu, puis un chat, et enfin un lion. « On reconnaissait parfaitement chaque animal », se souvient, encore estomaqué, le record-man du monde en salle du triple saut. La championne de France espoirs et Elite du 60
m haies des-sine depuis qu’elle a « un crayon dans les mains » et rêvait de « devenir peintre avant de découvrir l’athlétisme ». « C’est une artiste, s’exclame Baba Samangaray, son manager. Elle fait partie des gens qui aiment créer. »
Depuis 2015, la sociétaire d’Adidas Runners Paris a trouvé un nouveau terrain pour exprimer sa créativité : la piste. « Elle a cette fibre, prolonge son coach. Après avoir compris ça, j’ai pu adapter son entraînement par rapport aux mots employés. Je sais qu’il faut lui parler en images pour qu’elle capte tout de suite le message que je veux lui passer. Si je lui donne quinze consignes différentes, elle ne comprend rien du tout. Elle n’est pas dans l’analytique. » La principale intéressée donne
deux exemples très parlants : « Pour faire monter l’agressivité en moi, j’aime beaucoup me voir dans une panthère. Et puis, ça peut paraître un peu enfantin, mais pour visualiser le franchissement des haies à la hauteur idéale, je pense à Mario Bros en train de sauter pour aller chercher des pièces en l’air. »
Assise aux côtés de son manager dans les tribunes en bois de la Halle Maigrot de l’Insep ce vendredi de début mars, quelques jours avant que la pandémie de Covid-19 ne vienne bouleverser le calen-drier de la saison estivale, Cyréna Samba-Mayela se raconte posément. Blouson noir et ongles sa-vamment apprêtés, celle qui se définit comme « assez introvertie et dans [son] monde » prend quelques secondes de réflexion avant chaque réponse. Loin du cliché de l’artiste fantasque qu’on peut vite coller à
ce genre de profils. C’est elle qui le dit : « Il y a beaucoup d’idées et de bazar dans ma tête mais, pour moi, c’est ordonné. » La métamorphose avec l’athlète rencontrée au même en-droit, en 2017, est bluffante. À l’époque, elle avait 16 ans, venait de battre le record de France cadettes du 60 m haies en 8’’10 (haies à 76 cm) et avait dû attendre la toute fin de la séance pour ré-ussir à passer un obstacle. Trois ans plus tard, presque jour pour jour, elle est championne de France espoirs et Elite, avec
un record en 7’’98. Et, précise Teddy Tamgho, « Cyrena est une des filles en France qui refuse le moins de haies à l’entraînement. Quitte à les survoler ou les taper, elle passe. »
Pendant cet intervalle de deux ans, la vice-championne du monde cadettes 2017 du 100 m haies a dû affronter d’autres obstacles. Sous la forme de nombreuses blessures musculaires qui, malgré un record de France juniors du 100 m haies en 2018 (12’’99) sous la houlette de Ladji Doucouré, ont haché sa carrière, la privant notamment de saison estivale en 2019. Un « électrochoc », selon elle. « Avant, je courais juste pour le plaisir. C’est bien, mais ça n’est pas suffisant. À un moment donné, on ne
peut plus se reposer uniquement sur le talent. J’ai connu des moments de doute. J’ai dû me forcer à m’intéresser à la manière dont fonctionne mon corps et apprendre à ne plus être passive. Les blessures m’ont confrontée à ce que je voulais vraiment faire de ma vie, de ma carrière. » Baba Samangaray, lui, situe le déclic à l’été 2018, lorsque la native de Champigny-sur-Marne (Val de Marne), comme onze jeunes autres athlètes, a intégré le dispositif Athlé 2024. Plus précisément à un rassemblement organisé
pour les heureux lauréats. « Pascal Martinot-Lagarde et Christophe Lemaitre ont partagé avec eux leur expérience. Ils leur ont montré comment ils étaient maîtres de leur projet. »
Une équipe très structurée
En rejoignant en septembre dernier le groupe de Teddy Tamgho à l’Insep, après deux ans avec Ladji Doucouré, l’étudiante en première année de MBA Business au sein de l’école de commerce Amos a pris sa carrière en main. Elle s’appuie sur une équipe qui, en plus d’un coach et d’un manager, compte une préparatrice mentale et un médecin. « Être professionnelle, c’est être plus structurée et comprendre qu’on ne peut pas vivre comme une adolescente lambda, développe-t-elle. Il
fallait que je mette l’athlétisme au centre de ma vie, que je ne considère plus le sport comme un loisir mais comme mon métier. J’ai compris que dans le haut niveau, tout est une question de détails. D’ailleurs, je dois encore apprendre à être plus minutieuse et organisée. »
À l’entraînement, Teddy Tamgho, qui prépare un diplôme d’état supérieur (DES) sprint-haies, a mis l’accent sur la condition physique, en s’appuyant sur les conseils de Daniel Darien, son « tuteur ». « Suite aux blessures de Cyréna, il fallait d’abord remettre certains éléments de base en place, re-trace le champion du monde 2013, qui avait déjà accompagné l’ex-gymnaste dans le cadre de sa préparation physique en 2017. On a cherché à la rééquilibrer pour éviter les différences gauche-droite
et faire en sorte qu’elle soit solide sur ses appuis. Avec le moteur qu’elle a, il va maintenant falloir qu’elle travaille pour régler ses petits problèmes techniques. »
La stratégie porte pour l’instant ses fruits, au vu des performances de sa protégée. « Puissante et rapide grâce à une très belle élasticité, capable de rivaliser avec les meilleures sprinteuses françaises sur des départs », dixit son coach, Cyréna Samba-Mayela a réalisé une saison hivernale d’une régu-larité exemplaire. Débutée avec un record en 8’’24 abaissé au final de vingt-six centièmes, sans oublier six chronos entre 7’’98 et 8’’01. « Je suis revenue officiellement parmi les hurdleuses »,
savoure-t-elle. « Mais, prévient son coach, il faut qu’elle soit patiente et moi aussi. L’erreur, c’est la précipitation, surtout sur les haies. »
Florian Gaudin-Winer
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