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NUMÉRO 589 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2020

Wilhem Belocian : « J’ai toujours réussi à rebondir »

C’est le privilège, ou bien le risque, d’avoir été un athlète surdoué. A 25 ans, Wilhem Belocian a déjà vécu plusieurs vies d’athlète. Hurdler français le plus doué de tous les temps, le Guadeloupéen a tout gagné dans les catégories jeunes, réussi brillamment la transition chez les seniors, puis connu des galères, des blessures et une disqualification olympique, avant de reprendre son ascension. Retrouvez l’entretien que le champion d’Europe du 60 m haies à Torun avait donné à Athlétisme Magazine à l’automne dernier.

Il y a quelques années, vous étiez encore le grand espoir des haies françaises. Vous avez désormais 25 ans. Le temps passe vite ?

C’est sûr qu’on voit le temps défiler. Quand on a un quart de siècle, on a déjà un peu vécu, mais pas tant que ça. C’est le début de l’âge de la maturité, comme disent les cadres de la Fédération. Je sens que j’ai passé un cap cette année, malgré le coronavirus. Je me connais mieux et je sais ce que je vaux. J’ai besoin maintenant de disputer des finales en grands championnats (ndlr : en plein air). J’en ai été privé depuis 2016, à cause de différents pépins physiques. C’est peut-être ce qui me manque encore pour atteindre cette fameuse maturité.

Comment décririez-vous le Wilhem des années cadets et juniors ?

J’étais jeune et fougueux. Quand je me présentais sur une ligne de départ, c’était pour l’emporter coûte que coûte. Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait, mais je profitais de chaque instant. Je ne suis pas mauvais perdant, mais j’ai toujours eu la culture de la gagne. J’avais déjà envie de devenir un sportif de haut niveau, dès le début en fait. Vivre de sa passion, c’est la meilleure des choses. Aujourd’hui, je peux être heureux à chaque fois que je vais à l’entraînement ou en compétition.

Vous avez dû apprendre à perdre en arrivant chez les seniors…

Je savais que ça n’allait pas se passer comme chez les jeunes. J’ai eu la chance de vivre une transition assez facile, contrairement à certains qui ont un peu galéré en passant sur les haies à 1,06 m. Avec Ketty (Cham, son entraîneure), on a su s’adapter à ma morphologie, mon gabarit et mes qualités, et on a anticipé en commençant à travailler ce changement un an avant mon arrivée chez les espoirs. Sur les petites haies, j’impulsais tout près, ce qui n’avait pas d’influence sur mon franchissement. En revanche, on s’est rendu compte que si je reproduisais ça sur les obstacles à 1,06 m, je ne franchissais pas mais je sautais. Il fallait que je sois à la bonne distance pour impulser et que je bosse la tenue du bassin, afin qu’il n’oscille pas trop.

A quel moment avez-vous eu le sentiment de basculer dans le haut niveau ?

En 2015, lors de ma première sélection en équipe de France seniors : les championnats d’Europe en salle de Prague. On réalise le triplé (NDLR : Martinot-Lagarde, Bascou et Belocian aux trois premières places du 60 m haies). Là, je me suis dit que je passais dans un autre monde et que je devenais clairement un sportif de haut niveau.

Quelle a été la principale différence avec votre vie d’avant ?

L’existence d’un circuit de meetings pour faire rentrer un peu d’argent. Mon père est agent communal et ma mère technicienne de surface. Ils ont toujours tout donné pour mes deux frères et moi. Ils ont bossé dur pour nous élever. Avec mon grand frère, qui a 35 ans, on gagne un peu de sous et on essaye désormais de les aider pour qu’ils puissent se faire plaisir. C’est un devoir pour moi. Plus jeune, l’enjeu n’était pas le même. Je pensais moins aux retombées. L’athlétisme est devenu mon métier, même si j’ai suivi des études en Staps (sciences et techniques des activités physiques et sportives) en parallèle jusqu’en 2016-2017. Dès que j’ai eu ma licence, je me suis dit : maintenant, c’est bon, j’ai un bagage, je peux profiter de ma carrière sportive. Je reprendrai une formation lors de ma reconversion. J’aimerais devenir kiné. Je me suis découvert une passion pour les sciences, le corps humain. J’aime voir comment il réagit, que ce soit au niveau musculaire ou en interne, par exemple sur le plan hormonal. Je trouve sa capacité d’adaptation super intéressante. Tu peux apprendre tous les jours quelque chose de nouveau et être émerveillé.

Vous avez démarré fort dès les années espoirs, avec le bronze européen à Prague mais aussi à Amsterdam en plein air en 2016. Reste que de nombreuses blessures vous ont aussi freiné dans votre progression…

Je ne suis pas quelqu’un qui se fait de petites choses. Mon premier ‘’pète’’ a été un grade 3 (NDLR : une déchirure complète). A partir de 2015, je me suis blessé à plusieurs reprises aux ischios, à gauche comme à droite. J’ai aussi été opéré du pied droit en 2018, à cause d’un œdème osseux. Pendant longtemps, quand je ressentais une petite pointe, je me disais que ça n’était pas grand-chose et que ça allait passer. Du coup, je continuais à m’entraîner, et j’allais au-delà de mes capacités physiques. C’est ce qui m’est arrivé en 2015, quand je me suis pété avant les Mondiaux de Pékin. Je trainais une douleur depuis au moins deux mois. Ça me gênait quand j’étais à froid. Mais à chaud, ça allait. Mon cerveau s’était déconnecté. Je ne me rendais pas compte que je tirais sur mon corps. Maintenant, je l’écoute beaucoup plus, sans pour autant être peureux. Dès que j’ai quelque chose, je vais voir mon staff médical et on fait un check-up. J’ai fini par comprendre tout ça il n’y a pas longtemps, en 2019.

Pourquoi vous a-t-il fallu quatre ans pour que survienne cette prise de conscience ?

Je pensais qu’il était normal qu’un athlète de haut niveau ait tout le temps des douleurs. C’était la preuve qu’il poussait son corps à l’extrême, et il n’y avait donc pas de raison de s’inquiéter. Sauf que je me suis finalement rendu compte qu’il fallait que je le ménage, que ce n’était pas une machine. Et puis, après mes performances dans les catégories jeunes, j’étais attendu chez les grands. C’était une pression lourde à porter.

Comment réagissait votre coach lorsque vous vous blessiez ?

L’entraîneur est la première personne impactée lorsque ce genre de choses arrivent. Il se demande : ‘’Qu’ai-je fait pour qu’on en arrive là ? Ai-je commis une erreur ? Ai-je programmé une séance en trop ?’’ Ketty s’est toujours remise en question. Je ne l’ai jamais blâmée, car l’athlète a sa part de responsabilité. Pour que ça marche, il faut un échange. Si je suis un jour fatigué, je dois l’exprimer pour que le programme soit adapté.

Vous avez tendance à garder les choses pour vous ?

Oui ! Et à force de trop garder les choses pour soi, on crée des tensions, on cogite. J’ai changé. J’ai appris à exprimer ce que je ressens grâce à ma psychologue en Guadeloupe, Priscilla. On a travaillé pour que je sois capable d’évacuer ce que j’avais en moi et pour que je sois bien dans ma tête. Discuter avec quelqu’un qui ne me connaissait pas du tout et qui était neutre, ça m’a fait du bien. C’est super important d’être soutenu psychologiquement. Priscilla m’a beaucoup aidée à partir de 2016, suite au gros choc émotionnel des Jeux de Rio. C’est Ketty qui m’a conseillé d’aller la voir, en me disant que ce que j’avais vécu là-bas avait peut-être laissé des traces invisibles. On n’a pas immédiatement discuté du point J.O., mais on y est arrivé naturellement. Elle a su amener la chose comme il fallait.

Vous faites référence à votre disqualification en série pour faux-départ…

Sur le coup, je n’ai pas réalisé ce qui m’arrivait. C’étaient mes premiers J.O. J’étais super content d’être là, mes parents avaient fait le déplacement depuis la Guadeloupe. J’étais vraiment dans un état d’esprit où il me fallait l’or ou au moins un podium pour les rendre fiers. Je me sentais un peu redevable vis-à-vis d’eux. Je voulais prendre le rôle de chef de famille, ce qui n’était pas ma place. Je me suis mis trop de pression. Ne pas avoir pu m’exprimer comme je le souhaitais m’a vraiment cassé émotionnellement. Au fond de moi, je ne me sentais pas bien. J’avais l’impression de ne pas avoir réussi à offrir à mes parents le cadeau qu’ils méritaient. Alors qu’en fait, ils étaient déjà fiers de ce que j’avais accompli. J’ai ensuite repris ma saison et battu mon record personnel (NDLR : 13’’25, à l’époque). Je pensais donc que ça allait. Sauf qu’inconsciemment, pour reprendre l’expression employée par ma psychologue, j’avais juste passé une couche de peinture sur un mur qui était déjà délabré.

Vous avez ensuite perdu beaucoup de poids…

J’étais dans l’optique de me professionnaliser de A à Z. Je voulais atteindre un rapport poids-puissance que je considérais comme idéal. J’ai décidé de faire évoluer mon alimentation tout seul et j’ai mal procédé. J’avais réduit mes portions, je mangeais beaucoup plus de salades et de légumes que de féculents, peu de protéines. Du coup, fonte musculaire. J’ai perdu sept kilos, j’étais descendu à soixante-sept, alors qu’aujourd’hui, je suis à quatre-vingt kilos en ayant pris du muscle. On m’appelait « le Kényan ». J’étais vraiment maigre. Sauf que quand je me regardais dans le miroir, je me voyais juste affûté. Quand j’ai fini par me rendre compte de ce qui se passait, j’ai tout de suite repris une alimentation normale avec l’aide d’un diététicien. Avec le recul, je me demande comment j’ai pu en arriver là, surtout que je suis quelqu’un qui aime beaucoup manger.

Quelles ont été les conséquences sur votre niveau sportif ?

J’étais beaucoup plus lent qu’avant. Je me sentais super léger, mais je n’avais ni puissance, ni force, ni vitesse. J’ai appris de mes erreurs et ça n’arrivera plus. En discutant avec ma psychologue, j’ai compris que ma perte de poids était une conséquence de mon faux-départ. C’est comme si je m’étais puni. Heureusement qu’on a pu redresser la barre à temps, même si, avec tout ça, j’ai quand même perdu quelques années. Aujourd’hui, mon unique objectif est de tout faire pour être acteur de mes prochains Jeux. Rio, c’est de l’histoire ancienne. J’ai digéré. Et si je tombe dans l’histoire de la revanche, je ne serai pas dans le bon état d’esprit à Tokyo.

Qu’est-ce qui vous a fait tenir pendant toutes ces années de galère ?

Mon mental et l’accompagnement de mes proches. Mes parents ne m’ont jamais lâché, même quand je ne croyais plus en moi et que je pensais ne plus pouvoir retrouver mon niveau. Il m’est arrivé d’être au plus bas, de vivre des périodes sombres, notamment après mon opération du pied. Mais je me suis dit que ces périodes compliquées faisaient partie de la vie d’un sportif de haut niveau et que c’était à moi de me reprendre en main. C’était un défi de revenir et de montrer que j’étais encore là. Et j’ai toujours réussi à rebondir.

On vous sent très attaché à votre famille. C’est pour ça que vous vivez aujourd’hui entre la Guadeloupe et la métropole, que vous rejoignez pour les stages et compétitions ?

La Guadeloupe, c’est mon équilibre. J’y ai ma famille, mes habitudes, c’est là-bas que je me ressource. J’habite depuis un peu plus d’un an au Gosier avec ma copine. Mes parents sont au Lamentin, à même pas vingt minutes. On se voit souvent. Ils sont mon carburant, ma recharge de batterie. Avoir mon chez moi m’a fait du bien. J’ai découvert ce que c’était qu’être responsable : faire les courses, préparer à manger, organiser sa vie avec un loyer à payer. Quand je suis à l’Insep, où j’ai une chambre à l’année, je ne cache pas que la distance avec mes proches est dure à gérer. Mais je m’accroche.

Depuis le CREPS de Baie-Mahault, où vous vous entraînez, on voit les avions décoller pour la métropole…

Je suis obnubilé par les avions depuis tout petit. D’ailleurs, plus jeune, je voulais devenir pilote ou aiguilleur du ciel. Pendant mon enfance, on avait un rituel en famille. Certains dimanches, on allait à l’aéroport et on se posait dans la rue qui passait devant la piste de décollage. Je regardais les avions passer. C’était un kiff pour moi. Je n’avais pas encore beaucoup l’occasion de voyager à cette époque-là.

Vous rappelez-vous de ce que vous avez ressenti la première fois que vous êtes monté à bord d’un appareil ?

Je n’arrivais pas à croire qu’une chose comme ça pouvait voler. J’étais émerveillé. Encore aujourd’hui, j’aime m’asseoir côté hublot pour découvrir les îles depuis le ciel. Quand on est parti en 2019 à Yokohama (Japon) pour un stage et les Relais mondiaux avec l’équipe de France, les pilotes étaient super sympas. J’ai demandé si je pouvais aller dans le cockpit et ils ont dit oui. J’ai pu y rester pendant trente minutes avec Jimmy Vicaut. Ils nous ont montré comment ça fonctionnait. C’est un moment que je n’oublierai jamais.

Propos recueillis par Florian Gaudin-Winer pour athle.fr


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