Jamais rassasiés

Si Pascal Martinot-Lagarde est passé tout près de l’or sur 110 m haies, l’argent récolté en 13’’14 faisait tout de même son bonheur, au terme d'une saison lors de laquelle il a une nouvelle fois surmonté les obstacles. Le leader des haies françaises a entraîné dans son sillage Just Kwaou-Mathey, magnifique médaillé de bronze en 13’’33. Le troisième podium du soir pour les Français revient à Jean-Marc Pontvianne, troisième au triple saut avec 16,94 m après
une longue quête.
Les médailles
Martinot-Lagarde à un millième de l’or
L’infiniment petit peut être très grand. « Un millième, ce n’est même pas un clignement d’œil », image joliment le phénoménal Pascal Martinot-Lagarde. C’est l’écart qu’il y a eu, ce mercredi soir à l’arrivée du 110 m haies, entre le recordman de France (12’’95) et l’Espagnol Asier Martinez, titré en 13’’14, le même chrono que PML. Médaillé d’argent en explosant de 12 centièmes sa meilleure performance de la saison, l’élève de Benjamin Crouzet
a été immense, comme il l’est désormais
presque à chaque fois en grand championnat. Sa démonstration en demi-finales (13’’35, -0.1) avait donné le ton, avec une accélération impressionnante puis beaucoup de contrôle. En finale, au couloir 5, il a réalisé une course pleine, avec un départ beaucoup plus incisif. Au coude à coude avec l’Ibérique, placé à son intérieur, il s’est jeté comme un damné sur la ligne d’arrivée. Un cassé qui n'a pas suffi pour qu'il conserve son titre, acquis en 2018 à Berlin, mais qui symbolise à merveille la force mentale d’un
des plus beaux palmarès de l’athlétisme français, avec désormais douze médailles en grands championnats à son compteur. « Un millième, c’est horrible mais magnifique, constatait Pascal Martinot-Lagarde. Le scénario est le même qu’il y a quatre ans, quand j’avais battu Shubenkov. Cette fois, je suis derrière, mais aucun regret. »

C’est que le hurdler de l’ES Montgeron revient de très loin, après une bonne partie de l’été gâchée par les blessures. Eliminé en demi-finales des Mondiaux fin juillet, et encore loin de son meilleur niveau à l’époque, il a ensuite mis les bouchées doubles pour être compétitif à Munich. « La claque reçue à Eugene m’a servi, affirme-t-il. Sans ça, je ne sais pas si je me serais aussi bien entraîné pour construire cette médaille. J’ai une mentalité où
je dois être prêt le 17 août,
qu’importe si j’ai une contracture, une angine, ou je ne sais quoi. Là, j’ai les cervicales en miettes, j’ai mal partout, mais ça n’a a aucune importance. » A 30 ans, Pascal Martinot-Lagarde, désormais codétenteur de la meilleure performance européenne de l’année, a encore faim. « Le jour où je vous dirai que je suis rassasié n’est pas arrivé ! »
L’explosion de joie de Kwaou-Mathey

Comme un bonheur n’arrive jamais seul, l’explosion de joie de Just Kwaou-Mathey et de son clan, massé dans les tribunes dans l’axe de la ligne d’arrivée, a éclairé la nuit munichoise. Troisième en 13’’33, malgré « une grosse faute sur la huitième haie », le sociétaire de l’Evreux AC a foncé vers ses proches pour fêter ce premier podium chez les grands. L’athlète de 22 ans avait déjà montré à Eugene qu’il avait l’étoffe d’un homme de championnats, en terminant
aux portes de la finale.
« La pression ? Je m’amuse beaucoup à faire ces compétitions », balayait-il dans un sourire. Ce mercredi, pour son premier rendez-vous au sein du top 8, il a tenu le choc et n’a rien lâché dans les derniers mètres, pour résister au retour du Suisse Jason Joseph, qui termine deux centièmes derrière lui. « Cette médaille représente beaucoup, pour ma carrière et pour la suite, savourait-il. J’espère que ça ne sera pas la dernière. Ça me donne tellement d’envie pour travailler plus en vue
des championnats du monde
et des Jeux dans les années à venir. » Avec ces deux nouvelles récompenses, les haies hautes masculines ont désormais apporté douze podiums à l’équipe de France dans l’histoire des championnats d’Europe en plein air.
Forcément déçu par sa huitième place dans le chrono anecdotique de 16’’51, après une chute sur le dernier obstacle en conclusion d’une course mal embarquée dès la première haie à cause d’un contact avec l’Espagnol Enrique Llopis, Sasha Zhoya, beau joueur, a rendu hommage à ses deux compatriotes médaillés. « Je suis tellement content pour Pascal et Just. Pascal montre qu’il reste le patron (en France, NDLR). Il sait se préparer pour les grands
championnats. A nous les jeunes de nous
améliorer pour être un peu comme lui. » Le hurdler du Clermont Athlétisme Auvergne, 20 ans, a un autre modèle en tête. Celui de son coach, Ladji Doucouré. « J’ai fait comme lui (ce dernier était tombé sur l'ultime obstacle lors des Jeux d’Athènes en 2004, alors qu’il était dans la course pour le podium), j’espère que j’aurai une carrière comme la sienne. » Aurel Manga n’a pas réussi à accompagner les trois Tricolores en finale. Troisième de sa demie en 13’’70, il a été handicapé par
une douloureuse aponévrosite plantaire,
apparue il y a une semaine.
Pontvianne, enfin récompensé

Trois fois finaliste des Mondiaux (deux fois en plein air, une fois en salle), deux fois des championnats d’Europe (une fois en salle et en plein air), Jean-Marc Pontvianne a (enfin) trouvé l’ouverture pour aller voir plus haut dans la douce nuit bavaroise. Comme souvent, le Nîmois n’a validé qu’un seul saut, le troisième, mais il a suffi pour retomber à 16,94 m, ce qui le situait à la deuxième place derrière l’intouchable Pedro Pichardo (vainqueur avec 17,50 m). « Comme souvent, j’étais
dos au mur après le deuxième essai, mais avec ma préparatrice mentale, on a beaucoup travaillé pour que je puisse être le seul à décider de ce qui se passe dans ces moments-là », remettait Pontvianne après coup.
Si l’Italien Andrea Dallavalle lui a piqué l’argent lors de son cinquième essai mesuré à 17,04 m, il était écrit que personne d’autre ne pouvait priver Jean-Marc Pontvianne d’un premier podium avec le maillot tricolore sur les épaules, à 28 ans. Un dépucelage qu’il attribuait à l’évolution de son cadre d’entraînement, il y a huit mois. « J’avais fait le constat que je n’arrivais pas à gagner de médaille, et donc que j’avais besoin de quelque chose de
plus. Je me suis tourné vers Teddy (Tamgho), qui sait le faire en tant que coach, après l’avoir fait comme athlète. Il était l’homme de la situation. Sébastien (Bouschet), qui est comme un frère, et qui m’a fait grandir comme athlète de haut niveau, a su accepter qu’on avait besoin d’un apport. Au final, on avait raison. » L’émotion n’empêchant pas la lucidité, le toujours placide Pontvianne s’est souvenu à sa sortie de piste que les portes des Mondiaux de Eugene et des Europe de
Munich ne se sont ouvertes qu’à la suite de la blessure de Melvin Raffin aux championnats de France Elite. « Je n’étais pas prévu, et me voilà, je suis médaillé européen… »
La promesse
Avec Bonnin, la perche est une fête

Dans le jargon des photographes, on appelle ça une « photo joie ». Sur le sautoir, Marie-Julie Bonnin en offre à la pelle. Des sourires, une énergie communicative, de la complicité avec ses adversaires : la perchiste du Bordeaux Athlé s’amuse, même en finale des championnats d’Europe pour la première fois. Un naturel qui paye avec une sixième place à seulement 20 ans, dans un concours remporté par la Finlandaise Wilma Murto avec 4,85 m, record des championnats
égalé. En bonus : l’élève de Damiel Dossevi s’est offert un nouveau record personnel en effaçant une barre à 4,55 m au deuxième essai, soit trois centimètres de mieux que son ancienne marque de référence. Il ne lui a pas manqué grand-chose pour effacer une barre placée dix centimètres plus haut, qui l’aurait propulsée dans une nouvelle dimension.
« Ca a vraiment été une fête !, s’exclamait-elle en sortant du stade. J’ai pris tellement de plaisir. J’ai senti de nouvelles choses, pris des nouvelles perches. J’aurais voulu faire plus, car je sais qu’à 4,65 m, ça pouvait passer. » Pas besoin d’être devin pour imaginer que, si les blessures la laissent tranquille, son ascension est loin d’être terminée, tant sa technique est encore perfectible. Ca tombe bien, Marie-Julie Bonnin a déjà envie de retourner à l’entraînement. « J’ai tellement hâte de resauter, c’est horrible (rires) ! Ca n’est que du bonheur. J’ai hâte que ça continue donc j’ai encore faim. » Vous le voyez, le sourire ?
Usée par l’enchaînement des compétitions depuis plus d’un an, Margot Chevrier n’a compté ni les muscles qui la tiraillaient, ni le nombre de sauts à enclencher ce mercredi. La perchiste a « sauté jusqu’au bout » de ses forces, s’y reprenant à trois fois à son entrée à 4,25 m puis deux fois à 4,40 m, avant de buter sur 4,55 m. Déçue de ne pas avoir pu compter sur la plénitude de ses moyens physiques alors que la bataille pour le podium semblait ouverte, la
Niçoise a toutefois quitté l’arène avec une dixième place et le sentiment d’avoir « donné tout ce qui [lui] restait, sans rien lâcher. »
La décla
« Je courais à quatre pattes comme un bébé »

Huitième en 45’’67 d'une finale du 400 m remportée haut la main par le Britannique Matthew Hudson-Smith en 44''53, Thomas Jordier, qui disputait sa troisième course en trois jours, n’a pas traîné à identifier là où il avait pêché ce mercredi soir à Eugene. « Dans la dernière ligne droite, j’avais encore du jus pour finir fort, mais j’ai manqué de lucidité, et le placement de mon bassin est parti vers l’arrière. C’était compliqué de mettre le genou devant. » Le coureur de l’Amiens UC, conscient qu’il tenait là une opportunité en or de récolter une breloque, a pris le risque de démarrer
plus fort qu’en séries et en demies. Un choix peu payant, mais qu’il ne regrettait pas, sa « belle aventure » méritant bien de tenter des choses pour écrire une jolie fin.
Cambours contre le courant
« Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas… » L’heptathlonienne Léonie Cambours a connu une de ces journées où les planètes refusent de s’aligner. « Il y a beaucoup de choses qui sont bien sur le stade d’échauffement, mais pas sur le stade de compétition. C’est sans doute lié à l’enjeu, je suis peut-être crispée inconsciemment par l’évènement », regrettait-elle après son 200 m bouclé en 24’’73. Avant cela, elle avait couru le 100 m haies en 13’’52, passé
1,77 m à la hauteur et lancé son poids à 11,95 m. Soit 3558 points pour une seizième place provisoire, qui ne collait pas aux attentes de l’ambitieuse Normande. Elle aura trois nouvelles chances jeudi « d’inverser la tendance, et essayer de gratter quelques places. La beauté de l’heptathlon, c’est que la vérité d’un jour n’est pas celle du lendemain. »
Alexandra Tavernier a connu une finale du marteau encore plus frustrante. Après s’être fait « surprendre lors du dernier tour » par le rythme de son engin au premier essai (mesuré à 66,60 m), l’Annécienne a pris des risques pour obtenir un ticket pour l’explication des huit meilleures. Sans succès, puisqu’elle n’a pas réussi à améliorer sa marque, terminant douzième. A l’issue d’un concours « à s’arracher les cheveux, où les médailles se jouent à 71,58
m » et la victoire à 72,72 m (pour la Roumaine Bianca Florentina Ghelber), la vice-championne d’Europe sortante s’est donné comme mission prochaine et prioritaire de « faire le deuil » de son année 2022 compliquée, pour repartir du bon pied en 2023.
Florian Gaudin-Winer et Etienne Nappey pour athle.fr Photos : JM Hervio - P. Millereau / KMSP / FFA
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