A leur tour de briller
Les relayeurs du 4x100 m masculin, argentés en 37’’94, ont retrouvé la lumière qui les fuyait depuis plusieurs années, alors que Yann Schrub y a fait une entrée remarquée en prenant la médaille de bronze du 10 000 m en 27’47’’13. La France repart de Bavière avec neuf médailles dans son escarcelle.
Les médailles
Un relais argenté
Et Meba Mickael Zeze a porté Jimmy Vicaut en triomphe et à bout de bras, dans l’euphorie générale. La finale du 4x100 m masculin s’est achevé il y a quelques instants. Meba Mickael Zeze, Pablo Matéo et Jimmy Vicaut se prennent dans les bras, puis posent pour les photographes, drapeaux sur les épaules. Ils sont vice-champions d’Europe en 37’’94, un chrono de très belle facture réalisé grâce à une course pleine, avec des transmissions
bien huilées. Seule la Grande-Bretagne, sacrée en 37’’67, record des championnats, a réussi à leur barrer la route vers l’or, alors que l’Allemagne n'a pas terminé devant son public, douchant soudainement l’ambiance incandescente. Qu’importe, c’est la fin d’une période de disette de six années, pour ce relais qui a si souvent apporté de grands bonheurs aux Bleus.
« Il y a la médaille et le chrono qui va avec, savoure Meba Mickael Zézé, auteur d’une superbe mise en action. Ça prouve qu’on a été vraiment là, au rendez-vous, et ça nous fait vraiment plaisir. » Deuxième relayeur, le prometteur Pablo Matéo a tenu le choc avec brio dans la ligne opposée. « Franchement, je n’aurais pas pu rêver mieux, s’exclame-t-il, les yeux brillants de plaisir. Je suis super heureux. J’avais une équipe incroyable
avec moi. Après mon erreur à Eugene, ils m’ont super bien soutenu. Il fallait que je leur rende la pareille. » Ryan Zézé, positionné dans le deuxième virage, rend, lui, hommage aux absents, « car c’est grâce au travail de tout le monde qu’on en est là. On partage la médaille tous ensemble ». Enfin, Jimmy Vicaut, l’ancien de ce collectif, champion d’Europe avec le relais il y a douze ans alors qu’il n’était que junior, a conclu le travail et fait preuve d’élégance : « Ça fait vraiment
du bien, on en avait besoin. Mais c’est eux qui ont fait tout le job, moi, j’avais juste à finir. C’est à eux que le mérite revient. »
Disqualifié en finale des Mondiaux en juillet, après avoir brillamment remporté sa série, le 4x100 m tricolore, piloté par Richard Cursaz, reprend sa marche en avant. Et ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. « Je ne dirais pas que c’est une revanche, mais c’est un retour à nos bases, estime Meba Mickael Zézé. On a montré ce dont on était capable aujourd’hui, et il faudra compter sur nous les prochaines années. »
Schrub, la révélation
C’est l’histoire d’un oiseau rare, un mec un peu à part dans le petit monde des courses de fond. Les fondeurs ‘’normaux’’ parlent kilométrage et biquotidien. Yann Schrub s’entraîne six fois par semaine, « comme un junior », et privilégie la qualité, en faisant « plutôt moins que plus », en raison de ses études de médecine en parallèle (il termine actuellement la huitième année). N’importe quel athlète ou coach vous dira aussi l’importance de rester
dans sa bulle les jours précédant la course. Le Lorrain « travaille systématiquement jusqu’au vendredi avant [ses] courses le dimanche », et ne voulant surtout pas perturber ses habitudes, il a profité de la programmation des championnats multisports pour aller voir du triathlon, du VTT, de l’escalade, du volley… « Je suis sorti presque tous les jours, jusqu’aux 36 dernières heures où je me suis vraiment mis focus. L’expérience humaine, c’est aussi très important ! »
Sa médaille de bronze sur 10 000 m, acquise de haute lutte dans le dernier tour en 27’47’’13, ont prouvé qu’il n’y a pas qu’une seule méthode pour briller sur la scène internationale. Mais aussi que le fondeur de l’AS Sarreguemines Arrondissements a « un vrai potentiel », qu’il espère désormais « exploiter mieux, en augmentant [sa] charge d’entraînement, parce qu’il y a une grosse échéance dans deux ans. » Reconnaissant sans fard qu’il ne se croyait pas
en mesure de jouer les premiers rôles ce dimanche, au vu du « panel de devant, avec des Crippa, Kimeli, Jimmy (Gressier) », Schrub savait toutefois pouvoir compter sur sa capacité à finir vite. « J’ai une confiance en mon finish qu’il ne faut surtout pas que je perde, je sais que je peux faire de grandes choses grâce à ça depuis mes 2’21’’ dans le dernier kilo du 3000 m des Europe par équipes l’an dernier », se rappelait-il, la tête coiffée d’un coq et le sourire jusqu’aux oreilles. Toute
l’Europe du demi-fond connaît désormais ses qualités de finisseur.
Interrogé ensuite sur comment agrandir sa charge d’entraînement tout en terminant son internat, le champion de France de cross 2021 a fait preuve d’autant de lucidité qu’au moment d’aborder le dernier kilomètre de sa finale. « Je ne sais pas du tout, parce qu’il est difficile d’aménager mon cursus. La médecine manque de médecins, les patients restent des patients et les malades continuent à être malades. Une chose après l’autre, je vais d’abord savourer cette médaille.
Je suis sur mon petit nuage, et je crois que j’ai le droit d’y rester au moins une semaine avant d’attaquer la suite. » Et même un peu plus.
Les finalistes
Gressier beau joueur
Quatrième du 10 000 m en 27’49’’84, alors que l’Italien Yemaneberhan Crippa l’a emporté en 27’46’’13 après avoir repris in extremis le fuyard norvégien Zerei Mezngi, Jimmy Gressier ne s’est pas caché au moment de livrer son ressenti aux journalistes. « Je fais de grosses erreurs de gestion en fin de course. Je n’ai que ce que je mérite, je n’ai pas su prendre mes responsabilités. » En cause, sa réaction trop tardive lorsque le Norvégien a
pris la poudre d’escampette
à un kilomètre de l’arrivée, le Nordiste ayant voulu partager le travail avec Crippa, qui n’avait pas envie de bouger à ce moment-là.
Avant cela, Gressier avait attaqué tambour battant, en avalant le premier kilomètre en 2’40’’ puis les deux suivants en 2’45’’. « Quand j’ai vu que tout le monde suivait en passant aux 3000 m en 8’10’’, j’ai compris que ce n’est pas comme ça que j’allais réussir », expliquait le vainqueur de la Coupe d’Europe à Pacé en mai. Il a alors changé son fusil d’épaule et s’est gentiment remis dans le paquet. « Je ne crois pas que j’ai payé ce départ rapide,
parce que je ne l’ai
même pas senti dans les jambes en me replaçant dans le peloton », relatait-il. Il avouait, en revanche, être émoussé par une longue saison, avec « trois 10 000 m, ce qui fait mal mentalement ». Tout en saluant la performance de Yann Schrub « qui mérite vraiment sa médaille », Gressier envisageait des améliorations dans son programme de courses dans les années à venir, « pour arriver plus frais lors des grands championnats. »
Dans la même course, Yoann Kowal a tenté de lisser son effort en courant sur des allures les plus régulières possibles, mais s’est heurté à la volonté toute autre des meilleurs coureurs du continent. « En pleine prépa marathon, les à-coups me faisaient mal, avançait-il. Mais je ne suis pas déçu, j’ai kiffé, j’ai fait deux tours en tête de course. » Le Périgorudin a bouclé son affaire à la quinzième place, en 28’17’’39.
Robert se rapproche
Comme d’habitude, Benjamin Robert a trouvé l’ouverture dans la dernière ligne droite du 800 m, en se faufilant à la corde. Mais il revenait de trop loin, dans cette finale qui s’est emballée à un peu plus de 200 mètres de l’arrivée. Cinquième en 1’45’’42 d’un double tour de piste couru au train (52’’07 au 400 m) et remporté par l’Espagnol Mariano Garcia (1’44’’85, record personnel), le demi-fondeur du SATUC Toulouse Athlé n’a pas grand-chose à se reprocher,
même s’il a laissé se creuser un petit trou avant le dernier virage. « Du 580 au 600 m, je ne colle pas, retrace-t-il. J’arrive à en remettre une dans la dernière ligne droite, mais il me manque 10 ou 20 mètres et le lactique monte. »
A l’heure du bilan, l’élève de Sébastien Gamel avait conscience d’avoir franchi un palier à Munich, lui qui n’avait jamais disputé une finale en grand championnat avant ces Europe. « Je suis quand même content. Par rapport à l’an dernier, ça n’a rien à voir. J’ai travaillé plus dur. Mais en tant que compétiteur, je ne peux pas non plus être satisfait de ça. Je veux plus, des médailles. J’ai maintenant l’expérience, d’une finale mais aussi de toute la saison, où j’ai
gagné et fait des podiums en Diamond League. Le haut niveau, c’est ça. Il faut évoluer, grandir, mûrir. Je pense que je suis sur la bonne voie pour Paris, mais il va falloir être encore plus pro et plus fort partout. »
Samba-Mayela en voulait plus
Deuxième de sa demi-finale du 100 m haies en 12’’82 (+0.1) en début de soirée, Cyréna Samba-Mayela n’a pas réussi à rééditer une performance d’une même calibre en finale. Pénalisée par un faux-appui dès le départ puis par une touchette sur le quatrième obstacle, la hurdleuse du Lille Métropole Athlétisme n’a pas pu véritablement s’exprimer et se classe septième en 13’’05 (-0.1) d’une ligne droite dominée par la Polonaise Pia Skrzyszowska (12’’53). « Ca
ne s’est pas passé comme prévu. Je n’étais pas forcément au top de mes sensations. On analysera avec mon coach pour revenir plus fort l’année prochaine, souffle l’élève de Teddy Tamgho, avant de positiver : Ça arrive d’avoir des hauts et des bas. Je termine sur une note que je ne désirais pas, mais je ne vais pas me plaindre de ma saison, j’ai quand même été championne du monde cet hiver. »
Laeticia Bapté et Laura Valette avaient quitté la compétition plus tôt, au stade des demi-finales. L’athlète de l’US Robert a pris la cinquième place de sa course en 13’’16, après une grosse faute en début de course. La sociétaire du Nantes Métropole Athlétisme a terminé septième de sa demie en 13’’20, diminuée par une douleur aux ischios apparue la veille en séries.
Les Bleues prendront leur revanche
Les relayeuses du 4x100 m, en piste quelques minutes après leurs aînés, rêvaient de les imiter. Mais « le show impressionnant » lors de la présentation des équipes, dixit l’aîné des Zézé, et l’atmosphère électrique du stade olympique de Berlin, ont presque trop survolté les Bleues. « Je pense qu’on était toutes en feu, explique Floriane Gnafoua, la lanceuse tricolore. On avait beaucoup de jus et d’énergie, et on a voulu tout donner. » Cette
dernière n’a jamais pu transmettre le témoin à Gémima Joseph, partie sans doute un peu tôt et qui n’a pas entendu les alertes de sa coéquipière, tant le bruit était assourdissant lors de cette dernière épreuve des championnats, remportée dans la liesse générale par l’Allemagne (42’’34). « C’est un très bon relais, conclut Gnafoua. Je pense qu’on sera prêtes et d’attaque l’année prochaine. Qui sait, on ramènera peut-être aussi une médaille, car c’est ce qu’on voulait faire ce soir. »
Enfin, Solène Gicquel a « plutôt bien réussi » sa finale de la hauteur, selon ses propres mots. La championne de France est passée outre un échauffement « pas ouf » pour effacer 1,82 m dès sa première tentative, avant de réussir 1,86 m à son deuxième essai. S’il lui a manqué un peu de verticalité pour s’affranchir de la barre suivante, placée à 1,90 m, la Bretonne n’affichait aucune déception en sortant du stade olympique, ravi d’avoir pu vivre de
l’intérieur la grande explication de ses premiers championnats d’Europe. La palme est revenue à l’Ukrainienne Yaroslava Mahuchikh, sacrée avec 1,95 m sans le moindre échec.
Le bilan
André Giraud, président de la FFA : « Le bilan comptable est moyen, il ne faut pas se le cacher. Il nous manque de l’or, même si ça tient parfois à peu de choses. Il faut en prendre acte, même si nous ne sommes pas si mal placés que ça à la placing table. En revanche, au niveau des comportements, la dynamique que l’on est en train de mettre en place avec cette nouvelle génération est positive. J’ai eu beaucoup de retours des athlètes, des coaches, du staff
médical, pour louer l’état d’esprit au sein de la délégation. C’est d’ailleurs ce qui transparait à travers les relais, avec deux équipes médaillées. Nous allons continuer à travailler au cours des deux années qui viennent, en accompagnant du mieux possible cette génération, dont certains n’avaient pas eu la chance de disputer de compétitions internationales depuis 2019 et qui se sont révélés chez les seniors à Munich. »
Patrick Ranvier, directeur technique national : « Le résultat de ces championnats est mitigé. Nous sommes lucides sur notre niveau. Au-delà, nous y voyons autre chose avec des signaux positifs sur le plan de l’état d’esprit et de l’engagement, et de la solidarité dans le collectif équipe de France, aussi bien chez les athlètes que chez les cadres. C’est un point de départ essentiel à la construction de la performance collective, même dans un sport individuel.
Nous devons continuer à optimiser la capacité de nos athlètes les plus performants, dans des dispositifs parfois un peu singuliers mais qui ont fait la preuve de leur efficacité. A leurs côtés, des jeunes sont en train de monter et nous démontrent de belles choses par leur envie et leur absence de complexes. »
Romain Barras, directeur de la haute performance : « L’athlé est un sport de millimètres et de millièmes. On l’a vu, ça fait parfois la différence entre une médaille d’or et une médaille d’argent, entre une quatrième place et une médaille de bronze. Au-delà du tableau des médailles ou des finalistes, il faut analyser pourquoi on n’a pas eu plus de médailles. Mayer, Bigot, Tual, Lavillenie sont arrivés ici émoussés après les Mondiaux à Eugene, et il est normal
que leur pic de forme soit programmé pour les championnats du monde. La satisfaction, c’est l’équipe de France dans son ensemble. Je suis hyper fier de l’image que les athlètes ont montrée. On a pu aguerrir, à l’épreuve du feu, certains jeunes. Ils sont nombreux à avoir répondu présent : des records personnels, des médailles, dans un contexte international. Ce sont eux qui feront l’équipe de France de demain. On verra leur progression lors des championnats du monde à Budapest l’an prochain. »
Florian Gaudin-Winer et Etienne Nappey pour athle.fr Photos : JM Hervio - P. Millereau / KMSP / FFA
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