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A la maison

L’avantage du terrain - ‘’home advantage’’ dans la langue de Shakespeare - représente, d’après les statistiques, un multiplicateur de performance de l’ordre de 1,5 à 2,3 pour le pays hôte des Jeux olympiques. C’est d’ailleurs à Paris, en 2003, que les Bleus ont obtenu les meilleurs résultats de leur histoire aux Mondiaux. Mais concourir à domicile, devant ses supporters et ses proches, s’anticipe.

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« Après 500 mètres, un bruit de fou m’a sorti de la finale pendant quelques secondes. Ça ne m’était jamais arrivé. J’étais plus focalisé sur la piste qui vibrait que sur la course. Un truc de dingue. » Vice-champion du monde du 1500 m à Paris Saint-Denis en 2003, Mehdi Baala, actuel directeur des équipes de France, avait su se sublimer il y a vingt-et-un ans en profitant du public survolté du Stade de France, « douzième homme » des Bleus pour reprendre l’expression footballistique d’un autre héros de ce mois d’août béni, le spécialiste du tour de piste Marc Raquil.

L’histoire retient plus les vainqueurs que les vaincus. Les huit médailles dont trois titres ont donc éclipsé les quelques contre-performances, comme celle de Pierre-Charles Peuf, éliminé en qualifications du saut à la perche avec 5,20 m, soit cinquante centimètres de moins que son record établi quelques semaines plus tôt. « Les athlètes les plus armés ont réussi se transcender, d’autres ont été inhibés et mis en difficulté, et j’ai fait partie de la deuxième catégorie, constate sans fard celui qui est devenu manager Avenir au sein de la direction technique nationale. Je n’étais pas prêt à une telle ferveur. C’était très fort, peut-être même trop pour pouvoir le gérer lorsque tu dois réaliser un geste technique et une performance. »

Des mots qu’a écoutés très attentivement l’heptathlonienne Auriana Lazraq Khlass, lorsque l’ex perchiste a été invité à partager son expérience avec seize des meilleurs athlètes tricolores lors d’un rassemblement fédéral organisé à Tignes en mars dernier. « J’ai trouvé son témoignage plus instructif que celui des gens qui avaient réussi, remarque la vice-championne d’Europe de Rome. Quand tout s’est bien passé, on n’a pas forcément besoin de se remettre en question. J’en ai beaucoup discuté avec Pierre-Charles. »

« Transfert de connaissances et de sensations »

À Tignes, mais aussi en octobre 2023 à Saint-Malo, et même depuis 2021 lors des rassemblements Ambition 2024, ce dispositif lancé dans la foulée des Jeux de Tokyo pour préparer une cinquantaine de jeunes talents au rendez-vous parisien, de nombreuses têtes d’affiche de l’athlétisme hexagonal ont fait remonter leurs souvenirs. Il a été question de Paris 2003 bien sûr, mais aussi des championnats d’Europe indoor à Bercy en 2011, par les voix de Renaud Lavillenie, Teddy Tamgho ou encore Antoinette Nana Djimou, en or sur la piste bleue de l’AccorArena. « On a voulu travailler sur ce transfert de connaissances, de sensations et de flambeau avec les générations, explique Peuf. On a essayé au maximum de délier la parole, de parler avec les jeunes, de leur faire éviter les pièges. Chaque athlète a sa singularité et il n’y a pas vraiment de petits tuyaux à partager. En revanche, on peut se préparer à ce qu’on va recevoir. » « Le “home advantage” peut faire gagner une médaille si on est prêt à l’utiliser, prolonge Romain Barras, directeur de la haute performance à la FFA. Ça n’est pas quelque chose de magique. »

C’est dans cette démarche d’anticipation que l’ensemble des athlètes tricolores sélectionnés pour les Jeux ont été invités à assister au meeting de Paris, le 7 juillet dernier. Lors d’une compétition marquée, côté Bleus, par la victoire de Sasha Zhoya (110 m haies) et les records de France de Gabriel Tual (800 m), Agathe Guillemot (1 500 m) et Alice Finot (3000 m steeple), ils ont pu avoir un avant-goût de ce qui les attend dans quelques jours au Stade de France, avec 18 000 spectateurs survoltés et drapeaux bleu, blanc rouge à la main dans Charléty. « On voulait leur permettre de prendre la température de Paris, pour qu’ils voient qu’il y a de l’amour, mais aussi que ça renvoie à des choses très fortes qu’il faudra savoir gérer », prolonge le manager Avenir. Une initiative appréciée par les Bleus, à l’image de l’expérimentée demi-fondeuse Rénelle Lamote, qui appréhendait un peu l’accueil des supporters. « Sentir l’ambiance des Jeux, ça nous a fait du bien à tous, souligne la double vice-championne d’Europe en plein air du 800 m. J’ai vu de la bienveillance, un public investi et hyper respectueux. »

Une ambiance dont tout le monde a le droit de se servir, quel que soit son niveau, comme le rappelle Renaud Lavillenie, non sélectionné mais qui suivra avec passion la compétition : « Il ne faut pas avoir peur d’accepter que tu es là parce que tu le mérites. Les gens qui vont au stade veulent vibrer, vivre des émotions, voir des Français. Il n’y aucune honte à ce qu’un Tricolore, même s’il est dernier sur la liste des engagés, demande le soutien du public. Je dirais même que c’est presque à lui de le solliciter le plus. »

Le recours à l’accompagnement mental

Pour être capable de s’adapter à cet environnement exceptionnel, de nombreux Bleus échangent avec leur psychologue ou leur préparateur mental, dont la présence dans le sport de haut niveau s’est démocratisée ces dernières années.  « Je travaille avec ma psy pour préparer mon cerveau et éviter l’effet de surprise en entrant dans le stade », raconte Mélina Robert-Michon. Auriana Lazraq Khlass, elle, apprécie « les petits tips (“conseils“, en anglais) pour savoir comment gérer la pression et les pensées qui remontent quand on est à la maison ». Elle sait déjà, par exemple, de quelle manière réagir à la présence dans les tribunes « des gens qu’[elle] aime énormément. Je serai très contente de les voir mais, sur la piste, ça sera mon moment, pas le leur », prévient-elle.

Gémima Joseph a su pleinement se servir de ses proches lors des Jeux de Guyane à Remire Montjoly en avril dernier, en explosant ses records personnels sur 100 m (11’’04) et 200 m (22’’57), minimas olympiques à la clé. « Je savais que tout le monde dans les gradins était là pour moi. Ça m’a beaucoup motivée mais, pendant mes courses, j’étais focus et je n’y pensais pas forcément », confie la championne de France (11’’01) du Rou Kou, consciente que l’ambiance « sera multipliée par mille dans le stade olympique ». Une plongée dans l’inconnue, ou peut-être plus tant que ça.

“On fait du sur-mesure”

Romain Barras et Bertrand Valcin, respectivement directeur de la haute performance et co-responsable de la cellule d’optimisation de la performance, détaillent les avantages techniques et logistiques que représente l’organisation de Jeux à la maison.

Athlétisme Magazine : Comment se concrétise le « home advantage » dans la préparation terminale des Jeux ?

Bertrand Valcin : On a l’habitude d’organiser des stages à l’étranger avant les grands championnats, pour que les athlètes puissent s’acclimater à leur nouvel environnement et, pour les destinations lointaines, au décalage horaire. En étant à la maison avec un camp de base à l’INSEP, où les sélectionnés peuvent rester jusqu’à deux jours de leur entrée en lice avant de basculer au village olympique, on maitrise nos outils et on peut les mettre très facilement en place.  Cela nous donne aussi l’opportunité d’aller encore plus loin dans l’accompagnement des athlètes, grâce à la présence des coaches personnels et d’équipes médicale et d’optimisation de la performance renforcées.

Romain Barras : On a pu travailler étroitement avec l’INSEP pour accueillir dans les meilleures conditions possibles les athlètes. Beaucoup d’entre eux connaissent déjà les lieux, parce qu’ils s’y entraînent au quotidien ou parce qu’ils y sont passés l’an dernier, notre camp de base pour les Mondiaux de Budapest y étant déjà situé. Le staff médical a aussi pu prendre ses repères. La piste extérieure a été rénovée et comporte deux couloirs avec le même revêtement qu’au Stade de France, les engins pour les lancers sont proches de ceux qui seront utilisés lors des Jeux. Au-delà de la préparation terminale, on a pu équiper plusieurs pôles avec les starting-blocks de la compétition, grâce à un dispositif mis en place par l’Agence nationale du sport.

Les athlètes ont pu découvrir en avant-première le Stade de France en version J.O., début juillet…

Bertrand Valcin : Cet entraînement contrôlé leur a permis de prendre des repères. Impulser depuis une planche à deux mètres, c’est complètement différent d’une planche à un mètre. Dans un autre registre, nos lanceurs de marteau ont pu tester le plateau. Ce sont des gains marginaux qui apportent de la sérénité aux athlètes. Ils sentent qu’on fait du sur-mesure pour eux.

Que va apporter la Maison de la performance, qui sera réservée à l’équipe de France olympique à Saint-Ouen ?

Bertrand Valcin : C’est une vraie plus-value, qui va permettre d’accueillir plus d’accompagnateurs à la performance. Les athlètes pourront y voir un préparateur mental l’avant-veille ou la veille de leur entrée en lice, y faire des débriefings avec leur entraîneur en s’aidant de l’analyse vidéo s’ils le souhaitent, ou encore y bénéficier d’une cellule médicale haut de gamme. Ce sont des services qui font monter encore d’un cran leurs conditions d’entraînement.

Romain Barras : Un dispositif similaire était déjà prévu pour les Jeux de Tokyo il y a trois ans, mais il n’avait pas pu être mis en place à cause des restrictions liées au Covid-19. Ce qui est très avantageux, c’est que cette maison de la performance est collée au village olympique. On n’aurait jamais pu avoir un tel emplacement à l’étranger.

La FFA a beaucoup échangé avec l’Agence nationale du sport et le comité d’organisation de Paris 2024…

Romain Barras : On a essayé de bosser au maximum avec eux. Comme le disait Bertrand, aller fouler la piste du Stade de France en exclusivité, c’est un énorme privilège. Autre exemple : le travail de longue haleine réalisé pour que les coaches en tribunes soient proches des athlètes. Le dispositif “Gagner en France”, mis en place par l’Agence nationale du sport avec le CNOSF et le Ministère des Sports, nous a aidés dans l’attribution des places aux proches des athlètes et nous a donné accès à une billetterie pour le staff technique. On bénéficie aussi de facilités d’installation pour toute notre logistique. Notre unité de récupération, sur le site d’échauffement, est ainsi placée au meilleur endroit possible, là où il y a un peu de fraicheur. C’est très appréciable.

Florian Gaudin-Winer pour athle.fr

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