Le chef d’œuvre de Cyréna Samba-Mayela
Cyréna Samba-Mayela a décroché une sublime médaille d’argent sur 100 m haies lors d’une ultime soirée d’athlétisme au Stade de France riche en émotions samedi soir. Le 4x400 m féminin a amélioré un record de France vieux de trente ans, tandis que Gabriel Tual a pris la sixième place d'une finale d'une densité folle sur 800 m.
Le temps fort
Le phénix Samba Mayela
« Je voulais juste laisser parler l’artiste qui est en moi. » Dans son couloir 2, à la corde, hérité de sa touchette sur le dernier obstacle de la demi-finale, Cyréna Samba-Mayela a oublié ses tracas des dernières semaines et mois. Concentrée comme jamais, la hurdleuse de Champigny-sur-Marne a livré une partition de très haute volée pour conclure sa ligne droite en 12’’34 et avec une médaille d’argent autour du cou, à un petit centième de l’Américaine Masai
Russell. « Bien sûr que je me suis imaginée en or, je n’étais d’ailleurs venue que pour ça. Mais quand j’ai vu mon nom s’afficher sur l’écran géant, ça a été beaucoup de stress qui s’est échappé. Cette médaille d’argent vaut de l’or pour moi, avec tous les challenges que j’ai rencontrés cette année. Même moi, à un moment, je n’y croyais plus », susurrait-elle, rayonnante de bonheur. Et la sociétaire du Lille Métropole Athlétisme de rappeler qu’outre le Covid, qui l’a mise à plat plusieurs semaines
fin juin, elle a « tenté le tout pour le tout » à l’été 2023 en « partant aux Etats-Unis pour [s’]entraîner avec un coach irlandais, [se] confronter à une culture inconnue, parler une autre langue, vivre loin de [sa] famille et de [ses] proches. »
Cette médaille d’argent, le troisième podium de l'histoire dans cette discipline après Michèle Chardonnet en 1984 et Patricia Girard en 1996, est venue récompenser des choix forts qui ont profondément changé l’athlète et la femme qui se cache derrière. Plus engagée dans sa course, plus fluide au-dessus de l’obstacle, plus ouverte et plus à l’aise avec les autres acteurs du (petit) monde de l’athlétisme, la championne d’Europe a pris une nouvelle ampleur cette année, sous la houlette de l'Irlandais John Coghlan. Son
titre mondial en salle en 2022 n’était pas un coup d’éclat sans lendemain, mais bien une piqûre de rappel que la cadette prodige (vice-championne du monde U18 en 2017), qui aura 24 ans en octobre, a un don unique, et que la maturité aidant, elle a trouvé le cadre pour exprimer pleinement son potentiel. Un stade de 70 000 personnes en a chaviré de bonheur, rendant le moment encore plus fort. « Je suis encore emplie d’émotion. Je suis tellement reconnaissante et tellement fière d’avoir représenté mon pays à
la maison », concluait la nouvelle porte-drapeau de l’athlétisme tricolore.
La perf'
Un record de France historique pour le 4x400 m féminin
30 ans est un âge respectable pour un record de France. A quatre jours près, celui du 4x400 m féminin d’Evelyne Elien, Francine Landre, Viviane Dorsile et Marie-José Pérec (3’22’’34 en août 1994) restera un éternel jeunot, puisque Sounkamba Sylla, Shana Grebo, Amandine Brossier et Louise Maraval ont décidé de donner un coup de plumeau aux tablettes nationales. Combatives de bout en bout, malgré le départ supersonique des Américaines à leurs
côtés, les Bleues ont bouclé
l’affaire en 3’21’’41. Cinquièmes, les Françaises avaient le sourire mélancolique de celles qui ont rêvé plus grand mais savent qu’elles n’ont rien à se reprocher. « Ce record de France, c’est très beau, c’est notre médaille à nous », s’enthousiasmaient-elles devant la presse. « C’est un très gros chrono, si on nous avait dit ça il y a un an, on aurait rigolé, soulignait Sounkamba Sylla. Mais il y a meilleures que nous ce soir. » Les Etats-Unis se sont imposés avec un nouveau record
continental époustouflant,
en 3’15’’27, alors que le bronze acquis par la Grande-Bretagne s’est joué en 3’19’’72.
La décla
« Je suis fort mais je ne suis pas non plus un super-héros. Je pense qu’aujourd’hui, j’ai tout tenté. Je me suis clairement dépouillé sur la piste. »
Un vainqueur, le Kényan Emmanuel Wanyonyi, qui s’approche à 28 centièmes du record du monde de David Rudisha en 1’41’’19. Un médaillé d’argent, le Canadien Marco Arop, qui améliore la meilleure marque tous temps d’Amérique du Nord en 1’41’’20. Et un médaillé de bronze, l’Algérien Djamel Sedjati, qui coupe la ligne d’arrivée en 1’41’’50. La marche était encore peut-être un peu haute pour Gabriel Tual en finale du 800 m, qui ne pouvait que constater
qu’il « fallait battre (s)on personnel best » pour « monter sur le podium ».
Le recordman de France (1’41’’61) aura pourtant été un des principaux acteurs d’une course qui reflète bien le niveau mondial stratosphérique du double tour de piste cette année, en portant une attaque à 300 mètres de l’arrivée qui lui a peut-être coûté cher dans la dernière ligne droite. « Quand j’ai vu que ça passait vite mais pas tant que ça, je savais que si je devais gagner, ça serait à l’usure, retraçait l’élève de Bernard Mossant. Au 500 mètres, je sors,
je ne calcule pas. Je mets une boite progressive. Je reviens sur Wanyonyi. Je ne ferme jamais la porte. Il repasse au 600 m à la corde et, à partir de ce moment, je me fais distancer. En vingt mètres, je perds quatre places. C’est compliqué de revenir. L’erreur se paye cash. »
Les cent derniers mètres allaient être longs mais, sixième en 1’42’’14 - un énorme chrono et un rang de mieux que trois ans plus tôt à Tokyo - le demi-fondeur de l’US Talence ne nourrissait aucun regret. « Je tente et je joue, sans avoir peur de perdre. C’est comme ça. J’ai essayé de toucher la lune. Malheureusement, je n’ai pas touché les étoiles. C’est triste et décevant, mais je ne peux rien me reprocher. » Quelques minutes après son arrivée, il allait
assister aux premières loges à la médaille d’argent de Cyréna Samba-Mayela sur 100 m haies. « Elle ne s’en rend peut-être pas compte, mais elle a une chance incroyable de pouvoir porter le maillot et faire un tour d’honneur, soufflait-il. J’en avais les larmes aux yeux, c’était exceptionnel. Tout le stade s’est mis à crier. J’espère qu’elle sait qu’il y en a plein qui convoitent ces moments-là et qui aimeraient être à sa place. » Dans quatre ans à Los Angeles, ce sera peut-être à son tour.
Le chiffre
9
Agathe Guillemot et le relais 4x400 m masculin partageaient le sentiment doux-amer lié à leur neuvième place finale. La Bretonne a couru avec intelligence son 1500 m, parti sur des bases follement élevées, trop pour elle. Après avoir temporisé dans le deuxième tiers, elle a tenté de profiter du retour de Laura Muir depuis l’arrière pour intégrer le top 8 en fin de parcours. Le premier peloton était un peu trop loin, et Guillemot, malgré un nouvel
excellent chrono
de 3’59’’08, a dû se contenter d’une place dans les dix. « Forcément, ça donne des idées pour la suite. Je n’aurai plus peur de viser une médaille mondiale. Plus le niveau monte, plus je me sens à ma place. C’est un peu surprenant mais tant mieux, car c’est ce qu’il faut pour faire du haut niveau », relativisait-elle après coup.
Pour le 4x400 m, la pilule était plus dure à avaler, en raison de la chute de Fabrisio Saidy, dans une bousculade avec son concurrent sud-africain. Le Réunionnais, dernier relayeur du collectif, était à ce moment-là à la bagarre pour la cinquième place, et sans doute lancé vers un chrono proche, si ce n’est en-dessous du record de France. « C’est un fait de course, ça joue parfois en notre faveur et parfois non. C’est la loi du relais et du trafic, transposait
son collègue
Téo Andant. C’est frustrant de terminer comme ça en finale olympique à Paris, alors qu’il y avait la place pour faire au moins un top 5. » Avec Muhammad Kounta au départ et Gilles Biron à sa suite, les Français se sont finalement classés neuvièmes, dans le chrono anecdotique de 3’07’’30. « On est tombés mais ça sera pour mieux se relever », promettait Biron.
Et aussi
Schrub et Hay ont tout donné
Le Norvégien Jakob Ingebrigtsen a bouclé le dernier 600 mètres de la finale du 5000 m en moins de 1’20’’. Une allure démoniaque, qui lui a permis de décrocher son premier titre olympique en 13’13’’66, quatre jours après sa quatrième place sur 1500 m. Une autre planète à laquelle les Bleus n’ont pas encore accès. Mais Yann Schrub et Hugo Hay, respectivement 12e en 13’20’’63 et 16e en 13’26’’71, n’ont pas à rougir de leur prestation. « Je suis
satisfait de moi, j’ai
tout donné, réagissait quelques minutes après l’arrivée le premier nommé. Ça a été une course tactique comme je les aime. Ça a accéléré progressivement et j’étais tout le temps bien placé. Il me manquait juste de la fraicheur au niveau des jambes et j’étais aussi un peu usé mentalement. » Il avait en effet fallu digérer son abandon en finale du 10 000 m, il y a huit jours, suivi de plusieurs nuits au sommeil agité. « J’étais très déçu de moi. Je pense qu’aujourd’hui, je me suis rattrapé. Bien sûr qu’il
y avait
des choses encore meilleures à aller chercher, mais j’ai fait avec les armes du moment. »
Hugo Hay nourrissait plus de regrets. Le sociétaire du Sèvre Bocage AC n’avait pas les mêmes jambes que mercredi, en séries. « Quand ça part, j’ai l’impression que je peux aussi en mettre. Mais finalement, les jambes ne répondent pas, même si je n’ai pas l’impression d’être en surrégime. Je ne sais pas comment l’expliquer. C’est bizarre et frustrant comme sensation. J’étais arrivé avec d’autres ambitions. » Il aura tout de même franchi un palier supplémentaire
par rapport
aux Jeux de Tokyo il y a trois ans, où il avait quitté la compétition dès le premier tour.
Le mot de Romain Barras
Romain Barras, directeur de la haute performance : « Le bilan est décevant. On voit que souvent, lors de ces Jeux olympiques d’un niveau extraordinaire, un record de France ou même un record d’Europe n’ont pas suffi pour aller chercher une médaille. On avait des athlètes capables de terminer entre la troisième et la cinquième-sixième place. Ça n’a jamais basculé vers la médaille. Ils sont, malgré tout, allés au bout d’eux-mêmes. Ils se sont heurtés à un niveau mondial qui est encore un peu haut. Une nouvelle génération arrive et a obtenu de jolis résultats au niveau européen. Elle a encore besoin de mûrir. On savait que la marche pour les J.O. serait haute. On est tout proches, il faut poursuivre le travail qui a été réalisé, et ça demande encore un peu de temps. On a cette sublime médaille d’argent. C’est dans cette dynamique-là que doit s’engouffrer cette équipe de France plutôt jeune. Il y a de belles lueurs d’espoir. »
A Paris, Etienne Nappey pour athle.fr Photos : KMSP / FFA
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