Les courses sur route, en cette fin d’année, se drapent souvent de l’intitulé ambigu de « corrida ». Retour sur une étonnante étymologie, et décryptage d’un phénomène qui ne cesse de prendre de l’ampleur. La question a déjà, fatalement, effleuré l’esprit de chaque participant. Et même de ceux qui n’entendent rien, de près ou de loin, à la course à pied. Un peu partout en France, chaque fin d’année, les corridas pédestres font florès. Corrida ? Mais pourquoi mêler, dans l’intitulé du moins, course à pied et mise à mort de taureaux ? Jean-Baptiste Protais, ancien international en cross et marathon dans les années 80 et 90, organise aujourd’hui la corrida d’Issy-les-Moulineaux, une des plus importantes de la région parisienne. « Et je reçois fréquemment des mails d’insultes de gens qui me disent que je ne devrais pas organiser de tels événements… » S’il en rigole presque, c’est qu’une corrida n’a pas forcément grand-chose à voir avec le fait de mettre des collants de couleur pour planter une épée dans l’échine d’un taureau. Pour trouver l’étymologie du terme, direction Sao Paulo, au Brésil. Lieu où la plus célèbre corrida (« course », en portugais) au monde a lieu tous les 31 décembre depuis 1925. Paul Tergat, légende de l’athlétisme kényan, avait fait des quinze kilomètres du parcours l’un de ses terrains de jeu favoris dans les années 90. La tradition, et le terme, se sont importés en France. « A une époque, la saison des courses hors-stade s’arrêtait réglementairement en octobre, pour reprendre uniquement le 1er mars, raconte Jean-Jacques Godard, président de la Commission Nationale des Courses Hors Stade (CNCHS). La Fédération souhaitait en effet éviter que les courses sur route ne concurrencent les cross. » Une dérogation, toutefois, était accordée. « Sur la période de Noël, et jusqu’au jour de l’An, on pouvait toutefois organiser des courses sur route, se souvient Jean-Baptiste Protais. Cela se faisait dans un esprit de fête, comme au Brésil, où c’était à l’époque une folie complète. Le mot corrida a donc vite désigné une course disputée sur la période de Noël. » Des milliers de déguisement La tradition perdure, même si l’organisation des courses sur route a vécu une véritable révolution ces vingt dernières années, et qu’elle connaît aujourd’hui encore une croissance exponentielle. Actuellement, plus d’une centaine de « corrida » sont ainsi inscrites au calendrier officiel sur le seul mois de décembre, du Centre à l’Alsace, de la Provence aux confins de la Bretagne via la Polynésie. Un succès qui assure à une épreuve comme celle d’Issy-les-Moulineaux, fixée cette année au 15 décembre, une audience croissante. Il faut dire que les organisateurs ont tenu à conserver l’esprit qui différencie une corrida d’une course sur route classique. Plusieurs milliers de déguisements du Père Noël fleurissent ainsi sur le parcours. « Une corrida reste une fête, on cherche toujours à y développer un côté festif, poursuit l’ancien international. Je viens de l’athlétisme classique, axé vers la performance, et si nous avons une course pour ceux qui cherchent un chrono, une autre est réservée à ceux qui veulent s’amuser. Cela correspond de toute façon à l’évolution de la société. La population de coureurs est de plus en plus importante, mais de plus en plus en recherche de loisirs. Cette année, on devrait atteindre les 5000 Père Noëls… » Au total, entre les coureurs classiques, ceux qui se déguisent, les bambins et les parents qui les accompagnent, l’épreuve devrait réunir quelque 15000 personnes sur la matinée. Les coureurs élite et licenciés FFA qui le souhaitent pourront eux prendre part à un 10 km de label international. Le poids des labels Un certificat délivré par la FFA, et qui permet de mieux encadrer le phénomène. « Pour nous, voir les corridas et plus globalement les courses sur route se développer ne peut être que positif, estime Jean-Jacques Godard. Mais on doit bien sûr éviter que cela ne parte dans tous les sens, d’autant qu’aujourd’hui, n’importe qui peut organiser n’importe quelle manifestation, y compris sportive, sur la voie publique pour peu qu’il en fasse la demande aux services préfectoraux. Dans ce cadre, nous pouvons tout de même donner un avis technique sur l’événement, d’autant qu’on s’appuie généralement sur nos juges, officiels, chronométreurs fédéraux. Les labels nous permettent aussi de faire en sorte que les courses qui veulent en disposer respectent certaines règles précises. » Un garde-fou loin d’être inutile quand on sait que plusieurs grosses entreprises spécialisées dans l’événementiel sportif ont flairé le filon et les ressources à tirer des courses sur route. « Pour que de grosses organisations ne fassent pas de tort et de concurrence aux plus petites, on cherche à toutes les mettre autour d’une table lors de la réunion de calendrier, qui a généralement lieu en septembre, poursuit le président de la CNCHS. » Reste que les corridas qui tombent le même jour - un phénomène désormais inévitable - voient toujours, dans l’ensemble, leurs pelotons gonfler, saison après saison. Les coureurs ont le choix. Et s’ils hésitent, les intitulés plein de poésie peuvent à eux seuls les inciter à goûter à l’esprit d’une corrida lors des fêtes. Aux quatre coins de l’Hexagone, outre les inévitables corridas de Noël, vous aurez le choix entre celle du Touraine primeur (Montrichard, Centre), du Téléthon (Saint-Aubin, Bretagne), du bœuf gelé (Saint-Ambroix, Languedoc), du Château (Nice), des dormeux (Mehun sur Yevre, Centre), des lumières (Aix les Bains), de la ronde de l’huître (Sarzeaux, Bretagne), du bocage (Cosne d’Allier, Auvergne), de lous berretes (Aureilhan, Midi-Pyrénées), du Vieux Port (Marseille), la nordique (Yzeure, Auvergne), de J-4 (Chambray, le 27 décembre), des tanneurs (Lavausseau, Poitou), des lampions (Savigny le Sec, Bourgogne), des étoiles (Rochechouart, Limousin), de Vauban (Besançon), des abbesses (Remiremont), et évidemment de la Saint-Sylvestre. Un inventaire à la Prévert, version course à pied. Cyril Pocréaux pour athle.fr |