Ce fut l’un des temps forts des championnats de France Elite, le week-end dernier, à Clermont-Ferrand. Au terme d’un concours de poids de haute volée (où il a devancé Gaëtan Bucki, 20,09 m, le Congolais Franck Elemba Owaka, 19,90 m, et Frédéric Dagée, 19,74 m), Tumataï Dauphin a fait coup triple avec son 20,10 m : titre de champion de France, sélection pour les Championnats d’Europe de Prague (5-8 mars), et la fameuse barrière des 20 m brisée pour la première fois. Le Tahitien revient sur cette performance, les doutes et les regrets qui l’ont paradoxalement entourée, et se projette déjà vers un futur qu’il espère bien maîtriser. Athle.fr : Tumataï, avec un peu de recul, quels sentiments gardez-vous de ce concours de poids d’Aubière ? Tumataï Dauphin : Un sentiment mitigé… Vraiment ? Sur le moment, je suis vraiment heureux. Et je suis d’ailleurs toujours très content d’avoir franchi la barre des 20 m. Mais je ne suis pas du tout content de la manière dont je l’ai réalisé. On a analysé cela après-coup avec mon entraîneur (NDLR : Pierre Aletti), et on a vu que je n’étais pas bien dans la technique qu’on avait travaillée. Disons que c’est frustrant et rassurant à la fois. Je ne me sentais pas au top de ma forme physique, je ne suis pas très bien techniquement… Si je ne suis pas encore à 100% dans le plateau, cela veut dire que j’ai encore de la marge. A combien l’estimez-vous ? Elle n’est peut-être pas si importante que cela en termes de distance, mais la progression viendra de ma capacité à être régulier à ce niveau. Sur ce concours des France, je dois faire quatre essais à 20 m. C’est aujourd’hui ma philosophie : maîtriser parfaitement ce que je fais pour être régulier et lancer un jour plus loin. Je veux sentir que je peux lancer à chaque fois à plus de vingt mètres. C’est comme ça que je trouverai du plaisir. Quelles sont les erreurs techniques que vous évoquiez ? Ce sont plein de petits trucs bêtes. Des lacunes physiques qui entraînent des fautes techniques. Je suis par exemple plus fort du haut du corps que du bas, ce qui entraîne un déséquilibre, une compensation avec le haut pour réussir à lancer. Jusque là, chaque aspect de ma personnalité sportive était un électron libre, qui s’exprimait à un moment différent des autres. Le haut du corps, puis le bas… Là, cela commence à être mieux. Lancer à plus de 20 m pour la toute première fois, c’est quand même une satisfaction, non ? C’est indéniable. Sur ce cinquième lancer, je sens que je fais quelque chose de bien, mais je ne vois rien. J’entends mon coach qui crie dans les tribunes, je lui tape dans la main, et ce n’est qu’après que je vois les « 20 m » s’afficher. Il paraît pourtant que vous ne vous sentiez pas très bien dans les jours qui ont précédé la compétition… Deux semaines avant les France, alors que je me sentais en forme, je lance sur une compétition où je ne valide qu’un seul essai, à 18 m, pour cinq mordus. Je ne comprenais pas pourquoi. Il m’a fallu travailler là-dessus. Puis j’ai chopé la grippe, puis une bronchite. Ce fut un peu difficile psychologiquement, mais c’est peut-être aussi ce qui m’a aidé à me détacher de l’événement. Car le lancer du poids sur des championnats de France, aujourd’hui, c’est un événement quand on voit le niveau du concours. Il faut assurer. Le niveau de l’adversité, on ne le maîtrise pas, alors il faut se concentrer sur soi-même, chercher à donner le meilleur de soi. C’est mon objectif, maintenant : donner le meilleur de moi-même à chaque compétition, et si ce n’est pas mon jour, tant pis. Mais mon plaisir, c’est de bien maîtriser ce que je sais faire. Ce niveau du poids français, qui ne cesse de monter, c’est aussi une émulation pour vous tous, non ? J’ai toujours eu beaucoup de respect pour Frédéric Dagée et Gaëtan Bucki. On se côtoie depuis longtemps, et on est copains en dehors des plateaux, on se voit de temps en temps. Sur le plateau, on est concurrents, mais chacun de sert des autres, de l’adversité. Les championnats d’Europe de Prague se profilent. Quelles seront vos ambitions ? Je ne réfléchis même pas à ça. Là, je suis en stage de préparation dans ma ville. Je ne pense qu’à la séance de cet après-midi, à celles de demain, à celles d’après-demain. Je me détache des championnats d’Europe pour ne pas ajouter de pression supplémentaire. Ma philosophie, c’est juste d’être là le jour J. Comme dit mon coach, et il a raison, les Europe, c’est un plateau, une salle, un poids et un lanceur. Le plateau est le même dans toutes les salles, le poids reste un poids… Pas d’objectif précis ? Ah non non non, je n’y pense pas maintenant, ça viendra. Je ne pense qu’à être prêt pour mercredi prochain, à 18h00, au moment des qualifications. Et pour la suite, à plus long terme ? (Il réfléchit) Cela fait longtemps que je m’entraîne dans le lancer du poids, je vais continuer à le faire, dans la discrétion, je n’aime pas parler de moi… C’est réussi, avec ce genre de perf'… Si c’est dans ce genre de circonstances, OK. Mais je n’annonce jamais que je vais faire de gros trucs, à part éventuellement à mes proches. Je veux juste garder leur soutien, continuer comme ça, sans me mettre sur le devant de la scène. Je sais que je suis parti pour aller jusqu’aux Jeux de Tokyo 2020, que j’arrêterai ma carrière après, sans doute. Enfin, on verra, en fonction de ce qui se passe. Je vais déjà essayer de me qualifier pour les championnats du Monde de Pékin, cette année, de faire les minima. Ce sera un passage important. Mais je sais aussi que je peux me faire une déchirure cette saison et arrêter là-dessus, alors… Propos recueilli par Cyril Pocréaux pour athle.fr
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