C’est un temps que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître. Celui du tout papier, quand ni le minitel, apparu en 1980, ni l’ordinateur n’existaient. C’est dans ce contexte que Jean Gilbert, engagé par le directeur technique national de l’époque Jacques Dudal, rejoint la Fédération Française d’Athlétisme en 1977. Il y restera pendant quarante ans, jusqu’en 2007,  à l’exception d’une courte parenthèse en dehors de la FFA au début des années 90.

Quarante années pendant lesquelles il va, en « visionnaire et précurseur », dixit ceux qui l’ont côtoyé, « révolutionner la manière de faire des statistiques » au sein de la fédération. En s’appuyant sur des qualités indispensables à tout homme de chiffres : la rigueur, le professionnalisme et la passion.

Sa méthode ? S’entourer d’une équipe de statisticiens passionnés, dédiés à une spécialité en fonction de leurs affinités, qui collectent les résultats des compétitions et les font remonter à Paris pour leur compilation, par voie postale ou téléphonique, pour les faire compiler à partir d’un certain niveau de performance. « Grâce à Jean Gilbert, on a pu pour la première fois s’appuyer sur des bases de données, se souvient Serge Bord, directeur technique national de 1988 à 1993. Il avait tissé une toile d’araignée dans toute la France. Avant, on ne pouvait se fier qu’aux coupures de journaux pour avoir des résultats. »

François Juillard, qui prit la succession de Serge Bord en tant que DTN de 1993 à 1997, retient, au-delà des compétences professionnelles de Jean Gilbert, l’homme qu’il était au quotidien : « C’était quelqu’un d’une très grande gentillesse. C’était un pur, très à cheval sur l’éthique du sport. Il a toujours milité pour un athlétisme propre. Il était très attaché aux personnes et aux valeurs et avait une grande connaissance des chiffres, mais aussi des gens. C’était aussi un homme fragile et hypersensible. »

Cette « sensibilité à fleur de peau » soulignée par François Juillard, était associée à un grand sens de l’humour. Jean Gilbert était un dingue de chiffres, comme on appelle avec tendresse les amoureux des stats’. Une passion débordante et obsessionnelle pour celui qui, allongé sur une serviette à la plage, n’arrivait pas à détacher ses yeux des colonnes de chiffres, pendant que femme et enfants barbotaient dans l’eau.

En s’en allant dans sa soixante-septième année, Jean Gilbert laisse en héritage un mode de fonctionnement qui a bien sûr considérablement évolué, avec le développement de l’informatique, mais dont les grands principes de rigueur et de travail collectif restent les mêmes. Il fut aussi à l’origine de la modernisation d’Athlérama, l’ouvrage statistique de référence de l’athlétisme français, pour lequel Patricia Doilin et son équipe d’intervenants ont repris le flambeau.

Depuis Amsterdam, ou débuteront demain les championnats d’Europe, Bernard Amsalem, président de la FFA et lui aussi grand passionné de stats’, a tenu à faire part de sa peine : « J’avais beaucoup de respect pour Jean Gilbert. Avant d’arriver à la fédération, je lui écrivais régulièrement des lettres pour obtenir les résultats de compétitions, car je collectais des chiffres pour mon plaisir personnel. C’était quelqu’un d’exigeant et de sérieux. Il avait du caractère, ce qui n’est pas forcément un défaut ! Tout le milieu des statistiques et tous ceux qui l’ont côtoyé sont aujourd’hui malheureux et marqués. »

La Fédération Française d’Athlétisme adresse à la famille et aux proches de Jean Gilbert ses plus sincères condoléances.