Pistard, routard, combinard, sauteur, lanceur, jeune, compétition, loisir, haut niveau, découverte, nature, ville. Autant de mots à combiner qui, au sein des près de deux mille clubs, font l’athlétisme en France. Parmi les rouages essentiels de chaque structure, l’entraîneur, quel que soit son profil, occupe une place à part. Athle.fr vous invite chaque mois à la rencontre de ces hommes et femmes de l’ombre. Rencontre avec Laure Deregard, 61 ans, entraîneur au Club Athlétic Ermontois. Elle n’a pas besoin de médiatisation. Laure Deregard est connue sur sa piste et cela lui suffit amplement. Elle a passé plus de 40 ans de sa vie à pratiquer puis à donner des consignes dans son club d’Ermont. Elle s’est fait sa place sportive, sociale et affective dans ce coin du Val d’Oise, aux portes de la forêt. L’athlétisme, c’est toute sa vie. Mais son intérêt est dans ce que les athlètes vont puiser dans cet art du tartan. Athle.fr : Votre définition de l'entraîneur ? Une personne passionnée, qui aime s'occuper de jeunes athlètes. L’entraîneur essaie de leur faire partager sa passion et de leur transmettre le goût de l'effort et de la persévérance, qui sont deux valeurs très importantes pour tous les jeunes qui ont du mal à trouver leurs marques dans la société. Il doit être présent à tous les instants et ne pas oublier qu'en plus, il forme des adultes en devenir. Ces jeunes devront être capables de trouver leur place dans la société, un but dans leur vie. Cette conception me vient peut-être de ma pratique professionnelle. Car en plus d'entraîner en club, j'enseigne l'EPS au collège La Justice à Cergy, où je copilote la section sportive athlétisme avec deux collègues. On est dans un contexte difficile, alors si l’entraîneur peut amener les jeunes à faire les bons choix et leur permettre de réussir chacun à leur niveau, il a rempli son rôle social. Entraîneur à Ermont, c'est plus dur qu'ailleurs ? Je ne pense pas. Mais étant un petit club familial entouré de clubs qui présentent des structures plus importantes que la nôtre, il est parfois difficile d'accompagner les athlètes que nous formons sur le long terme, car nous manquons souvent de moyens financiers, d'autant plus qu'il est compliqué de trouver des sponsors. Du coup, nous nous adaptons pour continuer à faire progresser les athlètes du club et leur donner un maximum de chances pour réussir leur projet sportif, même si le stade est ouvert à tout monde pendant nos créneaux d’entraînement, ce qui peut parfois générer quelques conflits. Pour autant, appartenir à un "petit " club nous permet plus de liberté dans notre démarche, et davantage de convivialité, probablement, au sein de l'équipe de coaches. Maintenant, il faut aimer ce que l’on fait, c’est indispensable. Sinon on n’est pas à sa place et on fait mal les choses. Ce qui vous énerve et vous plaît le plus dans votre fonction ? Ce qui m'énerve, ce sont les attitudes que l'on rencontre de la part de certaines personnes du milieu de l'athlétisme. Certains se permettent de critiquer ou de porter des jugements sur ce que l'on fait, alors qu’on peut à tout instant se perfectionner et progresser. Si on remplaçait ce type de postures par des échanges constructifs sur notre discipline, tout le monde y gagnerait. D'autres, entraîneurs comme nous, qui dès que vous avez des jeunes qui arrivent à un bon niveau, se mettent à vous dire bonjour et à vous parler alors qu'avant ils vous ignoraient, pourraient apprendre à considérer la valeur humaine des gens avant de penser que quelqu'un ne vaut que par les résultats des athlètes qu'il entraîne. D'autre part, je ressens fortement le fait que, dans le monde de l'athlétisme et du sport en général, être une femme coach est parfois difficile. J’ai toujours eu l’impression qu’il fallait que je fasse encore plus mes preuves juste parce que je suis une femme. Ce qui me plait, c'est transmettre ma passion, former des jeunes de A à Z et les emmener le plus loin possible. Pour autant, je reste réaliste, peut-être qu'à un certain moment, je ne serai plus capable de les faire progresser. Alors, ils prendront leur envol vers d'autres horizons. Le tout, c'est que ces athlètes arrivent au plus haut niveau de leurs possibilités. Vous êtes un coach "connecté" ou un entraîneur à l'’’ancienne" ? Plutôt à l'ancienne ! J'ai du mal avec la vidéo et le "tout connecté". Mais j'apprends car je n'ai pas le choix. Les jeunes que j'entraîne se filment souvent sur leurs séances techniques et nous en discutons ensemble. J'évite les vidéos en compétitions, je n'aime pas les montrer aux athlètes sur le vif, je pense que ce n'est pas toujours bénéfique car ils peuvent se focaliser sur un geste qui n'est pas essentiel pour la correction de l'essai suivant. Les coaches qui entraînent avec moi filment pendant les compétitions et nous analysons ensemble les images, mais sans les montrer immédiatement, sans filtre, aux athlètes. Maintenant, mon œil est souvent meilleur que la caméra (rires). Votre plus beau souvenir ? Il y en a beaucoup ! Le premier, c'est le premier titre d'une équipe de benjamines aux jeux de l'UNSS à Nantes, il y a une quinzaine d'années. C'était le premier titre remporté par un groupe d'athlètes du collège après mon arrivée à ce poste, alors qu'on ne s'y attendait absolument pas. Le deuxième, c'est la victoire d'une équipe minimes filles lors des championnats de France UNSS à Val-de-Reuil. Il y a aussi l'émotion particulière liée aux premières participations à des championnats de France individuels de certains athlètes qui avaient commencé l'athlétisme à la section sportive du collège, recrutés dans la cour de récréation, et qui s'étaient licenciés au club en cadets, lors de leur passage au lycée. La plupart d'entre eux se sont classés plusieurs fois parmi les finalistes. Quelques noms parmi d'autres : Faris Rafif, Aissetou Wague, Betty Mukombo, Yannis Roudier, Alassane Fofana, Assetou Fofana. Finalement, l'intensité de ces souvenirs vient des performances, bien sûr, mais aussi largement de l'aventure humaine à laquelle ces évènements sont rattachés. Quelle est votre relation avec les athlètes ? La plupart des athlètes que j'entraîne ont commencé avec moi en benjamins, que ce soit au club ou au collège. Nos relations sont complices tout en étant rigoureuses. Ils savent que pour réussir, il faut s'entraîner régulièrement. Il est vrai que, en fonction de leurs qualités naturelles, certains doivent travailler plus que d'autres pour atteindre leurs objectifs. Il faut bien connaître les athlètes pour pouvoir les faire progresser, être à leur écoute est essentiel pour tenir compte de leur réalité afin de les accompagner au mieux. Certains m’appellent « Mamie », ça me fait sourire. J’essaie de mettre des barrières. Mais parfois, ce n’est pas simple, car je sens chez certains que je les porte à bout de bras. Avez-vous un modèle d'entraîneur, dans l’athlétisme ou dans un autre sport ? Oui, mon entraîneur ! Quand je suis arrivée au club à l'âge de quatorze ans, j'ai rencontré Claude Michot, malheureusement parti trop tôt, qui m'a transmis sa passion de l'athlétisme. C'est lui qui a créé la section sportive au sein de laquelle j'essaie de poursuivre son travail, transmettre sa passion, et qui m'a permis d'évoluer avec les cadets, juniors, espoirs, seniors que j'entraine actuellement. A propos du regard de l'entraîneur, il disait : "Il faut vingt ans pour acquérir un oeil". J’espère y être arrivé. Trois mots pour définir votre groupe ? Précision. Passion. Complicité. Propos recueillis par Renaud Goude pour athle.fr |