Double finaliste européenne sur 100 m et 4x100 m en août à Berlin, Orlann Ombissa-Dzangue a été l’une des révélations de la saison estivale, avec un record porté à 11’’06 (+1,5 m/s) sur la ligne droite. À 27 ans, la sprinteuse de la SCO Ste-Marguerite Marseille vit une deuxième carrière inespérée. Pendant cinq ans, l’ancienne cadette et junior surdouée avait totalement arrêté le sport, donnant naissance à un fils, avant de reprendre le chemin des pistes à la
rentrée 2016. Actuellement à Sens (Yonne), sa ville natale, où elle passe du temps en famille, Orlann Ombissa-Dzangue revient sur son incroyable parcours et évoque ses prochains objectifs. Avez-vous déjà repris l’entraînement ? Oui, j’ai repris tout doucement depuis la semaine dernière, avec un peu de condition physique. Après les Europe, j’ai mis un terme à ma saison, mais j’ai continué les footings sans faire de grosse séance, juste pour m’entretenir. Le 1er septembre,
j’ai participé au meeting Fly Europe de Berlin. C’était très cool, j’ai trouvé l’ambiance super. Ensuite, j’ai coupé trois semaines, pendant lesquelles je n’ai vraiment rien fait. Cette reprise a-t-elle été plus facile qu’il y a deux ans, après plus de cinq années sans sport ? Oui, c’est sûr que c’est plus facile… Il y a deux ans, je me demandais pourquoi j’avais repris ! Là, ce n’est pas du tout comparable. Je sens que mon corps est habitué à bosser. Pendant cinq-six ans, je n’ai
pas du tout fait de sport, à part une semaine de salle. Mon corps ne savait plus ce que c’était. C’est comme si tu poses un gamin sur un vélo et que tu lui dis de pédaler directement sans roulettes (rires) ! Je me rappelle que je souffrais... À l’époque, ça allait parce que je faisais un peu ce que je voulais. Quand j’en avais marre, j’arrêtais. Mais quand j’ai repris à Marseille avec Franck Né en novembre 2017, il fallait que j’ « envoie » dès le début et que je tienne bon, même s’il a toujours fait en
sorte de me ménager. Quand je suis arrivée dans son groupe, je voyais les autres faire des trucs simples, que je ne réussissais pas. Maintenant, je les fais naturellement, mais à ce moment-là je me demandais : « Comment je vais y arriver ? Est-ce que je vais réussir un jour ? Est-ce que mon corps va tenir ? » Les premières semaines, je pensais que mon corps allait lâcher. J’en pouvais plus ! J’avais l’impression que je ne pourrais jamais évoluer à haut niveau. Pourquoi avoir choisi de
vous installer à Marseille ? À Sens, ce n’était pas possible pour moi de faire du haut niveau, parce que je m’entraînais à distance avec les séances que m’a envoyées Franck d’avril à septembre 2017. Quelqu’un me supervisait sur place, mais ce n’était pas la même chose. Je n’avais pas son œil d’expert. J’ai fait le choix de le rejoindre à Marseille. Il a un solide groupe d’entraînement, du coup j’ai dû m’accrocher. Avec Franck, le courant est super bien passé. Je lui ai fait confiance, et je ne regrette
pas. On s’entend super bien, autant au niveau sportif qu’humain. Il est toujours là pour m’encourager. J’ai vraiment tout quitté à Sens, y compris mon travail. Depuis un an, je me consacre à l’athlétisme, même si je réfléchis à ma reconversion. C’est important d’avoir un double projet parce que je ne suis plus toute jeune. Comment s’organise votre préparation dans ce nouvel environnement ? Je m’entraîne tous les jours au stade de Luminy, et une fois par semaine au stade Delort.
On a eu un hiver froid cette année, mais quand il fait beau à Marseille, c’est royal ! J’ai tout pour être bien ici : des kinés, une salle de muscu, et un super club, la SCO Ste-Marguerite, avec qui ça se passe très bien. Au début, j’appréhendais d’arriver dans un grand club, avec des athlètes de très haut niveau, mais je ne regrette pas. Les dirigeants m’aident sur tous les plans, et je les en remercie. Ici, j’ai l’impression d’avoir découvert une nouvelle Orlann ! J’arrive à faire des choses dont je ne me sentais
pas capable à Sens, comme prendre des risques, même à l’entraînement. Toute seule, je n’aurais jamais pu. Je ne me serais pas donné les moyens. Espériez-vous de tels résultats quand vous avez repris l’athlétisme il y a deux ans ? En 2017, pour ma première saison de reprise, je ne me prenais pas la tête. Après un arrêt aussi long, je me disais : « soit ça passe, soit ça ne passe pas ! » Aux Mondiaux à Londres, j’ai participé au relais. C’était bien, ça se passe super bien avec le
collectif, mais le plus important pour moi reste l’individuel. Quand je suis partie avec Franck, j’avais pour objectif de me qualifier pour les grands championnats en individuel. J’ai commencé à m’entraîner avec lui fin octobre, début novembre 2017. Toute l’année, on a aménagé l’entraînement pour ne pas brûler les étapes. Au début, je m’entraînais seulement une fois par jour. Il fallait que mon corps se réhabitue, comme si j’étais cadette et que je réapprenais tout. Franck a vraiment adapté les séances, même
si vers la fin on s’entraînait deux fois par jour, selon les cycles. En musculation, il m’a donné des séances de cadet-junior pour ne pas me brusquer. J’ai été souvent malade. Malgré tout, j’ai réussi à m’en sortir et à faire une belle saison. Franchement, je ne m’y attendais pas. Je pense qu’il y croyait plus que moi. Il me répétait de lui faire confiance, que j’avais le potentiel. J’y croyais moins que lui, probablement par manque de confiance en moi. Quel souvenir gardez-vous de la
saison passée ? Je suis dégoûtée d’avoir terminé dernière (huitième) de la finale des championnats d’Europe. J’espérais mieux, sachant que les deux premières étaient imbattables, mais que les places de quatrième à sixième étaient accessibles. Je pense que j’ai loupé un truc dans la course, je ne sais pas si c’était dû à la fatigue, au stress ou à autre chose... Mais une finale européenne, personne ne l’aurait cru un an en arrière, et même six mois. J’ai vécu vraiment de très bons moments cette saison.
Même après certains meetings où je n’avais pas forcément couru très vite, je me sentais bien, tout simplement. C’est la première fois dans ma jeune carrière que je suis aussi bien entourée, et c’est important d’avoir de bons conseils. Par le passé, j’ai eu de bons coachs avec qui je me suis toujours bien entendue, mais pas autant qu’avec Franck. La preuve : je suis contente d’aller à l’entraînement !
Avez-vous été surprise que des médias comme L’Equipe ou RMC Sport s’intéressent à votre histoire ? Non, je ne pensais pas que mon histoire interpellerait autant. C’est cool ce que j’ai vécu cette saison, c’était une super belle année. C’est passé trop vite ! Ça fait déjà deux ans que j’ai repris l’athlétisme. Je ne m’attendais pas à susciter un tel intérêt. Pour moi, c’était banal, mais pas pour d’autres personnes. Certains athlètes arrêtent un an sans pouvoir revenir... En tout cas,
j’ai apprécié de pouvoir partager cette histoire.
Quels objectifs vous êtes-vous fixée pour les saisons à venir ? J’ai envie de pouvoir m’entraîner à 100 %, pas comme l’année dernière où Franck me ménageait. J’espère pouvoir « envoyer » davantage et me donner plus au niveau des séances. Avec le chrono que j’ai réalisé cette année, j’espère aussi que ça va m’ouvrir la porte des grands meetings pour me confronter aux meilleures athlètes. Mon but, la saison prochaine, est de disputer des finales, comme celle des Europe l’hiver et des
Mondiaux l’été, et après, bien sûr, les JO en 2020. Je ne me prends pas la tête sur un chrono, comme par exemple passer sous les 11 secondes. Cet hiver, je me suis cassé la tête sur les minimas de 7’’20 pour les Mondiaux. Résultat : je ne les ai jamais faits. Cet été, je courais pour me faire plaisir et gagner, sans me fixer de chrono, et c’est descendu tout seul. Donc cette saison, mon objectif est de suivre à la lettre les consignes de Franck et de bien m’entraîner. Si je bosse bien, que je suis sérieuse et
régulière, cela viendra tout seul. Propos recueillis par Camille Vandendriessche |