Le 16 octobre 1968, Colette Besson remportait la médaille d’or du 400 m aux Jeux olympiques de Mexico, au terme d’un finish resté dans les mémoires, émouvant toute la France dans son sillage. Cinquante ans plus tard, athle.fr donne la parole aux témoins de son temps pour dérouler le fil de leurs souvenirs et revivre la victoire historique de la « petite fiancée de la France », malheureusement décédée en 2005. Jean-Paul
Noguès, son mari :
Mon 16 octobre 1968 « Lorsqu’elle devient championne olympique à Mexico, je suis très loin de connaître Colette. Ce jour-là, je suis à l’armée depuis quinze jours, et nous faisons une marche de nuit. J’apprends le lendemain qu’une Française a fait pleurer les militaires présents devant leur télévision en gagnant les Jeux olympiques. Quinze jours après, j’apprends qu’elle est Bordelaise, comme moi, et à nouveau quinze jours plus tard, on m’apprend qu’elle enseigne
au lycée de la Réole, où j’ai été pensionnaire pendant trois ans. Je revois finalement la course un mois après la date, lors d’une permission, et j’ai la même émotion que si ça avait été en direct. Je comprends alors le phénomène Colette Besson, et je tombe en admiration devant elle. Je la rencontrerai bien plus tard, par un heureux hasard, en avril 1977 au Togo. »
Mes souvenirs de Colette « Jusqu’alors, j’étais très sportif, je jouais notamment au rugby. Je m’intéressais de près au sport,
et je suivais Colette Besson, en premier, et aussi Roger Bambuck, Michel Jazy, Jean-Claude Nallet, Nicole Duclos en lisant L’Equipe. Ce que j’ai découvert grâce à Colette, c’est l’exigence extrême de l’athlétisme. Au rugby, tu as quatorze joueurs autour de toi. En athlé, tu es tout seul face au chrono ou à la toise. Quand on voit l’engagement, la détermination, le travail que cela représente… Il faut être fou pour faire ça ! C’est le sport individuel par excellence. Courir était pour elle une seconde nature,
une liberté. Elle a fait ce qu’elle a aimé, c’était une femme de passion et d’amour. La fibre qu’elle a développée pour l’enseignement et le partage était très naturelle chez elle. Le sport, c’est la voie qu’elle avait choisie. Quand elle gagne à Mexico, il n’y a jamais eu une telle audience à la télé. Les 15 millions de téléviseurs en France retransmettent la course puisqu’il n’y a qu’une seule chaîne à l’époque. Zapper était impossible. Cela a eu un impact énorme ! En plus, c’était des Jeux olympiques
mythiques avec John Carlos et Tommy Smith, Beamon, Fosbury… Il y a aujourd’hui 84 stades qui portent son nom, un collège à Paris. Elle a marqué les gens et les a conquis par ses qualités humaines. C’était une grande championne sur le stade, et surtout une très grande dame en dehors du stade. » André Giraud, président de la Fédération Française d’Athlétisme :
Mon 16 octobre 1968 « Ça, je m’en rappelle ! L’heure exacte,
je ne pourrais pas le dire, mais je me souviens qu’avec le décalage horaire, nous devions veiller pour voir les épreuves à la télévision. A l’époque, j’étais professeur de mathématiques en coopération à Alger. J’ai suivi en direct et en noir et blanc cette finale. La victoire de Colette était inattendue, c’était une grosse surprise pour moi. Je me souviens qu’elle avait connu une préparation atypique avant les Jeux. Avant elle, seule Micheline Ostermeyer avait remporté
une médaille d’or olympique chez les femmes, ce n’est pas anodin. C’est resté pour moi un moment d’émotion inoubliable. »
Mes souvenirs de Colette « J’ai vu Colette pour la première fois de ma vie, lorsque nous avons fêté le centenaire des Jeux olympiques modernes, en 1996. Le CDOS des Bouches-du-Rhône, dont j’étais le président, l’avait invitée comme marraine de la soirée de célébration. Nous avions sympathisé et nous étions restés amis jusqu’à son décès. On a continué à se voir, notamment
à Hammamet, en Tunisie, où j’organisais une course sur route. Partout où elle passait, elle laissait une image de quelqu’un d’humble et accessible. Pour avoir côtoyé des élèves qu’elle a eus en tant que prof de sport, je peux vous dire qu’elle leur a laissé de bons souvenirs et qu’elle a su leur transmettre sa passion du sport. Elle voulait faire partager sa passion à un maximum de jeunes, et c’est un bel exemple à suivre pour tout le monde. » Jean-Claude
Nallet, demi-finaliste des Jeux olympiques de Mexico sur 400 m :
Mon 16 octobre 1968 « J’étais à Mexico, puisque je faisais partie de l’équipe de France. J’étais dans le stade, comme beaucoup d’athlètes français, pour assister à sa victoire. Il y avait aussi Christian Nicolau et d’autres, on formait un clan. Je ne sais plus si j’étais encore en course en individuel (Jean-Claude avait passé le cap des séries ce même jour, puis celui des quarts-de-finale le lendemain, NDLR) à
ce moment-là, car ça remonte à loin, mais je me rappelle très bien de sa finale. Les pronostics ne la donnaient pas vraiment favorite. Quand elle a commencé à remonter sur ses adversaires à l’entrée de la dernière ligne droite, on s’est tous demandé jusqu’où elle irait. Puis elle revient sur l’Anglaise (Lillian Board, NDLR), et on ne savait plus si c’était Board qui perdait du terrain ou Colette qui en gagnait. Elle fait les 200 derniers mètres tout en progression de vitesse, on avait l’impression qu’elle
accélérait tout le temps, tout le temps, tout le temps. Finalement, l’histoire est belle, puisqu’elle remporte la course sur le fil ! Je n’étais qu’à moitié surpris, parce que j’avais connu Colette bien avant à Font-Romeu. Je savais qu’elle s’entraînait avec beaucoup de courage et de pugnacité. »
Mes souvenirs de Colette « Je l’appelais la sauvageonne (rires), quand je la voyais courir avec ses cheveux au vent ! C’était une jolie fille, pleine de gentillesse. Elle a toujours gardé
ses valeurs de courage, d’humilité, tout ce qu’il faut pour être une grande championne. Même si elle n’était pas toujours très bavarde, elle avait toujours le sourire et était très abordable. L’amitié comptait beaucoup pour elle, elle savait se montrer fidèle et sincère. Quand elle aimait, elle aimait beaucoup. Je l’ai côtoyé encore longtemps, et j’ai conservé une très belle relation avec elle. Quand j’avais été décoré de l’ordre national du mérite, elle était montée exprès à Paris pour la cérémonie, alors
qu’elle était déjà très malade, et cela m’avait beaucoup touché. » Alain Billouin, écrivain et ancien journaliste à L’Equipe :
Mon 16 octobre 1968 « Pour la première fois en 1968, les JO dans leur presque intégralité ont pu être diffusés en direct et en couleurs dans le monde, grâce à deux satellites et la chaîne américaine ABC. La finale de Colette se déroulait en heure française à minuit vingt. Le général de Gaulle
avait voulu la suivre en direct. Moi, j’étais encore un tout jeune journaliste fraîchement arrivé à L’Equipe et je n’avais pas eu la chance d’être dans la sélection très restreinte des envoyés spéciaux sur place. Elle n’avait que le neuvième meilleur temps de toutes les participantes engagées aux JO. Et ce fut cette ligne droite surréaliste où Colette, remontant cinq concurrentes, réussit à sauter juste sur la ligne la super favorite Lilian Board : 52’’, record de France et d’Europe. Divine surprise.
C’était magique. Son regard émerveillé. Ses pleurs sur le podium pendant la Marseillaise ont ému la France entière. De retour de Mexico, la popularité de Colette est devenue immense. Elle avait aussi conquis la France avec sa joie de courir, son charisme, le charme de ses 22 ans, ses beaux cheveux bruns… » Mes souvenirs de Colette « Je dois dire que les premiers exploits de Colette puis la longue fréquentation que nous avons entretenue ensuite à travers ses compétitions
et en dehors des stades fut l’un des grands bonheurs de toute ma carrière. Un souvenir particulièrement intense et émouvant me revient en mémoire. Il remonte à l’année 1969 alors que Colette était au sommet de sa gloire et ne pensait plus qu’au record du monde de la Coréenne Sin-Kim-Dan, en 51’’9. Objectif programmé pour les championnats d’Europe à Athènes en septembre. Avec Nicole Duclos, elles étaient les deux meilleures du monde sur 400 m. Le plan de Colette, avec son entraîneur, était, à Athènes, de s’attaquer
au record dès les séries, puis les demi-finales et bien sûr la finale : 300 premiers mètres à fond et les derniers 100 mètres sans rien lâcher. Elle frôla d’abord deux fois le record avec 52’’1 puis 52’’2. Et ce fut la finale grandiose... mais un peu cruelle pour Colette. Cinq mètres d’avance à l’entrée de la ligne droite. Mais Nicole de retour. Suspense. Toutes deux finissent sur la même ligne. Verdict de la photo-finish : même temps et record du monde alors manuel 51’’7 pour toutes deux, mais deux
centièmes d’avance pour Nicole, championne d’Europe. Lorsque j’ai retrouvé Colette et Nicole, le soir même, vers minuit, à l’hôtel où logeait l’équipe de France, en bord de mer, elles dînaient joyeusement comme deux soeurs en tête à tête avec coupes et médailles sur la table. On aurait pu trouver cela étrange : Colette était aussi épanouie et euphorique qu’à Mexico. ‘’J’étais heureuse pour Nicole, me dira-t-elle plus tard. Personnellement le grand objectif fixé dans ma carrière s’était accompli : être championne
olympique puis recordwoman du monde !’’ » Nicole Duclos, championne d’Europe du 400 m en 1969 :
Mon 16 octobre 1968 « Je devais être devant ma télévision ce jour-là, à Brive. Après l’arrivée, on m’a retrouvée à plat ventre devant la télévision tellement je hurlais d’émotion, après avoir sauté partout pendant la course. Bon, c’est mon mari qui me l’a raconté, parce que moi, je ne m’en rappelle pas (rires) ! »
Mes
souvenirs de Colette « J’ai connu Colette lorsque nous étions cadettes. Nous n’étions pas de la même région à la base, mais on faisait des compétitions interrégionales. La première fois que je l’ai vue, elle m’a épatée. Elle avait déjà fait du saut en hauteur, sa première passion, mais aussi de la longueur, et plein d’autres épreuves. Elle aurait été une très bonne heptathlonienne. On a fait nos études ensemble, au Creps du château de Boivre à Poitiers, pour être profs de sport. On a passé beaucoup
de temps ensemble puisqu’on était dans la même chambre. Forcément, ça crée des liens ! Sur la piste, cela s’est toujours bien passé entre nous. On était adversaires sur le terrain, et on ne se faisait pas de cadeaux, mais il n’y a jamais eu d’animosité entre nous. A Athènes, en 1969, c’était un grand moment pour toutes les deux ! Dès qu’on pouvait se retrouver toutes les deux, on s’amusait beaucoup. C’était une fille extraordinaire, pleine de vie et qui aimait tellement rire. Qu’est-ce qu’on a pu se marrer
! Quand j’en parle, je la revois en train de rire… On est restées amies jusqu’à son décès, qui est toujours pour moi une grande douleur. Je me souviens que quand elle a rencontré son mari, elle m’a téléphoné pour me dire qu’elle était tombée amoureuse. Moi à ce moment-là, j’avais arrêté l’athlé parce que j’étais enceinte, mais nous sommes restées complices jusqu’au bout. » Joseph Mahmoud, vice-champion olympique du 3000 m steeple en 1984
:
Mon 16 octobre 1968 « J’étais devant la télévision, il était tard. J’étais encore assez jeune, j’avais treize ans, et j’étais encore chez mes parents. La finale avait eu lieu dans la nuit. Je débutais à peine l’athlétisme, donc je commençais à m’intéresser à mon sport. »
Mes souvenirs de Colette « Je me rappelle de la première fois où je l’ai vue, c’était trois ou quatre ans après sa victoire de Mexico. J’étais en stage dans les Landes, et avec d’autres athlètes,
nous étions en train de courir sur la route, quand nous avons vu arriver de loin une voiture. C’était une Matra, et c’est Colette Besson qui était au volant, sans doute celle qu’elle avait reçue pour son titre olympique. Ça m’avait marqué. On s’est revus plusieurs fois par la suite, dans des occasions plus festives, notamment à Hammamet, en Tunisie, où nous étions les parrains d’une course sur route. Elle est également venue à Cassis, où je travaille, puisque nous avions fait Marseille-Cassis en relais. Elle
était toujours abordable, à l’inverse de certains sportifs qui prennent la grosse tête à la première occasion. Même si nos carrières ne se sont pas déroulées à la même époque, quand on s’est rencontrés, on avait l’impression de se connaître depuis des années. Avec elle et Jean-Paul, le courant passait tout de suite. Elle pouvait être amie aussi bien avec un champion départemental qu’avec un médaillé olympique. » Propos recueillis par Etienne Nappey |