La FFA vous propose, jusqu’à la fin d’année, son top 10 des grands moments de la décennie 2010-2019. Aujourd’hui, retour sur le record du monde de Kevin Mayer à Talence, un mois après son abandon lors des championnats d’Europe de Berlin.

« Je sais que tout le monde attend de moi le record du monde. » A moins d’une semaine du Décastar 2018, Kevin Mayer est lucide. Cela fait deux ans qu’il vit avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. La question lui est posée lors de chaque interview : « C’est pour quand ? ». Le genre d’interrogation qui l’énerve, mais qui ne lui pèse plus vraiment. Avec les années et l’expérience, le champion du monde de Londres a appris à ne subir qu’une pression : la sienne. Un mois plus tôt, les championnats d’Europe de Berlin, qu’il abordait en immense favori, ont viré au cauchemar. La faute à un zéro dès la deuxième épreuve, la longueur, hypothéquant ses chances de médaille. Mais l’élève de Bertrand Valcin et Jérôme Simian a, entre autres qualités, une forte capacité de résilience. Et il le promet avant d’entrer en piste à Talence : « Ça va être grandiose ! »

Ce 15 septembre, dans la tribune du stade Pierre-Paul Bernard de Thouars située au niveau de la ligne droite d’arrivée, et sur l’anneau en herbe qui surplombe la piste, les amoureux des épreuves combinées sont collés les uns aux autres. Il y a les anciens qui ont flairé le possible exploit, les ados qui rêvent d’obtenir un autographe, les techniciens qui connaissent par cœur les tables du déca et de l’hepta. On vient entre amis ou en famille voir de l’athlé, il fait beau, c’est la fin de l’été.

Et il y a « Kéké », qui réalise une entame proche de la perfection avec deux records personnels explosés sur 100 m (10’’55) et à la longueur (7,80 m), puis un poids très solide avec d’entrée un jet à 16 mètres. Arrive le concours de la hauteur, une épreuve qu’il ne peut pas véritablement travailler à l’entraînement, à cause de douleurs récurrentes à la cheville. En grande difficulté à 1,99 m, 2,02 m et 2,05 m, il efface ses trois barres au troisième essai. Il ne le sait pas encore, mais c’est sans doute le tournant de son décathlon, avant un 400 m bouclé en 48’’42. Résultat : 4563 points à l’issue de la première journée, soit 128 points d’avance sur sa meilleure marque nationale, et un total provisoire qui lui permet de garder dans un coin de sa tête trois records mythiques : du stade (8891 pts par Dan O’Brien en 1992), d’Europe (9026 pts par Roman Sebrle) et du monde (9045 pts par Ashton Eaton). « Demain, il y aura trois épreuves à risque. C’est là que ça va se jouer. Ça va être très stressant le matin et très fatigant le soir », prévient Kevin Mayer.

Ces fameuses épreuves à risque, ce sont le 110 m haies, le disque et la perche. Trois disciplines que Kevin Mayer, sur un nuage, survole, en réalisant les meilleures performances de sa carrière en décathlon : 13’’75, 50,54 m et 5,45 m. Après avoir effacé cette dernière barre, il affiche enfin un sourire lumineux. Sauf catastrophe, le record du monde ne peut plus lui échapper. Le javelot parachève le rêve, avec un troisième jet monstrueux à 71,90 m. Ne reste plus qu’à aller au-delà de la douleur lors du 1500 m, en gérant bien son effort. Après avoir relancé dans les 300 derniers mètres, tiré par Jérémy Lelièvre, il coupe la ligne d’arrivée en 4’36’’11. Le calcul est rapidement fait. Avec 9126 points, le record du monde de l’Américain Ashton Eaton, réalisé en 2015 aux Mondiaux de Pékin, est explosé de 81 unités.

La suite appartient à la magie des épreuves combinées, quand tout un stade chavire de bonheur et communie avec son héros. Le troisième homme au-dessus des 9000 points tombe dans les bras de ses camarades combinards Bastien Auzeil et Florian Geffrouais, puis dans ceux des organisateurs historiques du Décastar Nicole et Jean-Paul Durand. La soirée bascule dans une douce euphorie au son de « We are the champions ». Kevin Mayer pose avec l’ensemble des décathloniens, forcément torses nus, devant le panneau électronique affichant 9126 points. Puis, complètement survolté et visiblement plus si entamé que cela, prend le micro pour mettre à l’honneur son staff. Il fait applaudir son entraîneur Bertrand Valcin, son préparateur physique Jérôme Simian et son grand frère Thomas, trois des artisans de son exploit majuscule.

Le soir, dans le minibus le ramenant à l’hôtel des athlètes pour fêter son record avec ses potes, Kevin Mayer recevra l’appel téléphonique tant attendu. Celui d’Ashton Eaton, son prédécesseur sur les tablettes qu’il a toujours tant admiré. « Il avait l’air super content pour moi, racontera le Français. Il m’a dit qu’il avait apporté sa patte au décathlon et qu’il fallait maintenant que je reprenne le flambeau. » Pour le rendre bien sûr le plus tard possible.

La rédaction

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