Benjamin Compaoré a triomphé aux championnats de France ce dimanche à Clermont, en dominant le triple saut avec 16,95 m pour devenir le quatrième meilleur performeur européen de l’année. Just Kwaou-Mathey a survolé le 60 m haies devant ses aînés Martinot-Lagarde et Bascou, tandis que Gilles Biron et Makenson Gletty se sont rapprochés d’Istanbul.

La Perf'

La « quatrième jeunesse » de Compaoré

« Personne ne l’a dit, mais j’ai battu le record de France en salle masters ! Je rigole, je vais aller chercher d’autres records. » Benjamin Compaoré a effacé des tablettes la meilleure marque nationale indoor M35, qui était détenue par Karl Taillepierre avec 16,83 m. Mais le triple sauteur du CA Montreuil 93, qui fêtera ses 36 ans en août, veut encore dominer le bac à sable réservé à l’élite. D’ailleurs, il a mis une belle fessée à tous les jeunots ce dimanche, sur la piste du stadium Jean-Pellez. En pliant le concours dès le premier essai, mesuré à 16,79 m, puis en décollant à 16,95 m à sa quatrième, soit sept centimètres de moins que les minima pour les championnats d’Europe, qu’il a déjà réalisés l’été dernier (17,06 m). Un résultat qui lui permet de reléguer son dauphin, Kevin Drilla (Entente Littoral A. Nord 59), à plus d’un mètre (15,93 m), son élève Enzo Hodebar (EFCVO) complétant le podium (15,87 m).

Une domination qui le laissait pourtant « un peu sur (s)a faim », comme en témoignait pendant le concours les petites moues ponctuant ses tentatives. « C’était pas mal, j’ai bien géré, mais il y a un gros saut bloqué qui peut sortir , entre 17,20 m et 17,40 m », constatait celui qui est son propre entraîneur. Avant de pointer de nombreux positifs : « Ca n’est que mon deuxième titre en salle. Le dernier, c’était il y a onze ans, déjà ici. C’est comme une deuxième, troisième, quatrième jeunesse (rires). Je me sens très fort dans tous les domaines, tout va mieux dans ma vie. J’ai vraiment pris du plaisir, en jouant avec le public. »

Benjamin Compaoré, compagnon de la triple sauteuse espagnole Ana Peleteiro, avec laquelle il vient d’avoir une petite fille Lua, née juste avant Nöel, s’est installé en famille à Guadalajara et est épanoui comme jamais. « Beaucoup de choses ont changé dans ma vie personnelle, qui font que je vais beaucoup mieux sur les plans psychologique et physique. D’ailleurs, les soucis tendineux que j’avais ont disparu. »

De quoi lui permettre d’aborder avec beaucoup d’ambition les championnats d’Europe d’Istanbul, si le comité de sélection décide de l’envoyer en Turquie. Troisième des bilans continentaux en ne comptant pas Jordan Diaz (17,49 m), l’Espagnol natif de Cuba qui ne sera pas éligible au niveau international avant les Jeux olympiques de 2024, Benjamin Compaoré, était « venu chercher un peu d’honneur ici. » Contrat plus que rempli.

Le Temps Fort

Kwaou-Mathey prend du galon

« Just est un des nouveaux patrons de la discipline. » La phrase, signée Pascal Martinot-Lagarde, a des airs d’adoubement pour Kwaou-Mathey. Ce dimanche au stadium Jean-Pellez, l’athlète de l’Evreux AC a signé sa première victoire dans « la meilleure discipline de l’athlé français », comme il l’a malicieusement souligné au micro du speaker. Parti comme une balle, le médaillé de bronze de Munich n’a laissé aucune chance à PML (ES Montgeron) et Dimitri Bascou (GA Noisy-le-Grand), respectivement deuxième et troisième en 7’’58 tous les deux. Ses 7’’53 constituent un gain de quatre centièmes sur son record, et la troisième performance européenne de la saison. Cela valait bien une explosion de joie, pour le plus grand bonheur de sa mère et de sa sœur, qui lui avaient fait la surprise de venir l’encourager depuis les tribunes.

« Je ne pourrais pas vous faire la moindre analyse de ma course, je ne pensais qu’à gagner. J’étais tellement concentré qu’entre le coup de feu et le moment où je casse sur la ligne, c’est passé en un claquement de doigts. Comme j’étais décalé au couloir 3, je n’étais pas à côté de Pascal et Dimitri, et ça m’a peut-être aidé puisque j’étais focus sur mon couloir », relevait le désormais septième meilleur performeur français tous temps. Déjà projeté sur les championnats d’Europe d’Istanbul dans deux semaines, le médaillé de bronze de Munich s’y voit courir « encore plus vite ». Il le faudra pour renouveler ses exploits de l’été passé, et il devrait y retrouver ses deux principaux adversaires du jour, tous candidats à la boite.

La Promesse

Biron opportuniste

Gilles Biron aime l’athlé en salle, sans en être le plus grand fan de l’Hexagone. Le Martiniquais avait programmé un hiver studieux, ponctué de quelques sorties en compétition, essentiellement pour préparer l’été. Mais ce dimanche, l’occasion a fait le larron, et l’athlète de Madinina Athlétisme n’a pas boudé son plaisir. « Je n’ai pas fait de vraie préparation pour ces championnats », avouait-il sans détour après avoir dicté sa loi en 46’’11 sur le double tour de piste. « Je voulais coûte que coûte passer en tête à la cloche, parce que sinon, ça m’aurait coupé dans ma foulée, et c’est comme ça qu’on perd des centièmes. J’ai vu Téo (Andant) sur mon extérieur au rabattage, et ça m’a aidé, car ça m’a poussé à aller vite et à faire les minima », racontait-il a posteriori.

Derrière lui, Muhammad-Abdallah Kounta (EFS Reims Athlétisme) n’a jamais pu rattraper son retard, malgré un bel effort conclu en 46’’28, synonyme de médaille d’argent, de minima européens et de record personnel. Désormais niché au troisième rang des bilans français tous temps (derrière Djhone et Diagana), et à la sixième place européenne en 2023, Biron va devoir trouver un plan pour les quinze prochains jours, puisqu’il devrait être du déplacement en Turquie. Au vu de sa faculté d’adaptation aperçue à Clermont ce dimanche, cela ne devrait pas lui poser le moindre problème.

Chez les femmes, démonstration de Camille Seri, qui devient la sixième meilleure performeuse française de tous les temps en 52''48. La sprinteuse du Nice Côte d'Azur Athlétisme abaisse son record personnel de 31 centièmes et passe un nouveau cap. Le fruit d'une nouvelle stratégie conquérante, avec un départ rapide qui lui a permis de se rabattre en tête. « C’était la première fois que je courais de cette façon en championnat, raconte-t-elle. D’habitude, j’ai plus tendance à suivre. J’avais vraiment peur de faire le lièvre et qu’on me dépasse. Je suis donc très heureuse d’avoir pu réussir ce challenge. » Au-delà de cette prise de risques, l'étudiante en quatrième année d'école de sages-femmes attribue ses progrès à un emploi du temps mieux réglé, avec moins de gardes de nuits à l'hôpital.

Le Chiffre

2

Trois semaines après avoir porté son record à 5926 points dans la même salle à l'occasion du X-Athletics, Makenson Gletty a fait encore plus fort ce week-end avec 6090 unités. En chemin, le combinard du Nice Côte d’Azur Athlétisme a battu deux de ses records : les deux derniers lors de la perche (4,85 m) et sur 1000 m (2’37’’57). Un sprint final réussi qui lui a offert une première au-dessus des 6000, qui était son objectif du jour, et qu’il est le dixième Français à atteindre.

En prime, il a raflé un premier titre national chez les grands, cinq ans après le dernier obtenu chez les juniors en plein air. « Je n’avais plus fait de salle depuis 2019. C’est un bon retour », jugeait sobrement celui qui est cornaqué depuis l’été dernier par Rudy Bourguignon. Comme souvent dans les épreuves combinées, Gletty a connu des hauts et des bas, à l’image du concours de perche où il a dû s’y reprendre à trois fois à 4,55 m, avant de franchir 4,85 m quelques minutes plus tard. Même s’il lui a manqué 60 points pour s’assurer des minima direct pour les Europe en salle, sa saison pourrait connaître encore quelques rebondissements.

La Décla

« Je suis parti en stage en Afrique du Sud. Lors d’une séance, il y a eu un coup de vent sur le côté. Je ne sais pas pourquoi mais une info est passée dans mon cerveau : ‘’si je pique, je vais me tuer.’’ »

Plus qu’un premier titre de champion de France Elite en salle, Alioune Sene s’est d’abord offert une victoire contre lui-même ce dimanche, sur le sautoir qu’il fréquente au quotidien depuis septembre dernier et son retour à Clermont, au sein du groupe de Philippe d’Encausse. Depuis le mois de décembre et cet entraînement à Stellenbosch qu’il évoque, le perchiste du CA Montreuil 93 doit en effet combattre ses démons intérieurs. « J’ai eu d’énormes blocages en début de saison, retrace-t-il. A partir de là, il était devenu impossible de piquer. Je n’avais qu’une hâte : retrouver le stadium Jean-Pellez. En revenant, j’ai fait des séances pas trop mal. Mais je suis mal retombé sur le tapis et je me suis tordu la cheville. » Avec pour conséquence un nouveau blocage.

L’athlète de 27 ans a finalement réussi à remonter la pente au meilleur moment. « J’ai énormément travaillé avec ma préparatrice mentale, explique-t-il. On a fait beaucoup de séances d’hypnose et, aujourd’hui, ça a payé. » Loin d’être cité parmi les favoris, avec une meilleure performance à 5,40 m cet hiver, loin de son record personnel (5,76 m), Alioune Sene a créé la surprise en effaçant une barre à 5,60 m du premier coup, pour devancer aux essais Valentin Lavillenie qui a dû s’y reprendre à deux fois à cette hauteur. Mais le concours a représenté un nouveau combat : « C’était extrêmement dur, j’y allais perche après perche, il fallait que je me batte. Je me focalisais énormément sur ma course. En arrivant au niveau du butoir, j’avais toujours cette question-là : est-ce que j’y vais ou pas ? Je n’avais plus qu’à me dire : j’y vais, et après on verra. » Reste désormais à se libérer complètement, pour que cette première couronne soit la première d’une longue série.

Et Aussi

Pizzo à sa main

Même quand Léna Kandissounon (Haute Bretagne Athlétisme) a placé une franche accélération dans le dernier tour, se rappelant au bon souvenir de son passé de spécialiste du tour de piste, Charlotte Pizzo n’a pas tremblé et a franchi en premier la ligne d’arrivée en 2’05’’59. La demi-fondeuse du Pays de Fontainebleau avait confiance en son finish. « J’en ai gardé un peu sous le pied pour la doubler dans la dernière ligne droite, rembobine-t-elle. J’y croyais à fond. » L’élève de Thierry Choffin décroche son deuxième titre national indoor, quatre ans après le premier. Mais à 24 ans, elle est bien plus mature et sûre de son sens tactique aujourd’hui. Elle l’a prouvé en remportant une bataille de costaudes, puisqu’en plus d’elle (2’02’’18 à Lyon fin janvier, son record), deux autres athlètes avaient réalisé les minima pour les championnats d’Europe avant de se rendre à Clermont : Léna Kandissounon, 2e de la course en 2'05’’82, et Agnès Raharolahy (Nantes Métropole A.), 4e en 2’06’’16, Agathe Guillemot (HBA) venant s’intercaler entre ces deux dernières en 2’05’’97.

Robert et Habz au-dessus du lot

Sur la même distance mais chez les hommes, Benjamin Robert a couru en patron et l’a emporté en 1’47’’84. Rapidement en tête, le sociétaire du SA Toulouse UC est progressivement monté en régime et a bouclé le dernier 200 m en 25’’7. Même impression de facilité pour Azeddine Habz (Val d’Europe Montevrain A.), qui n’a jamais tremblé malgré l’attaque de Louis Gilavert (Pays de Fontainebleau, 2e en 3’41’’37) et a pu se permettre de relâcher dans la dernière ligne droite, avec l’or au bout en 3’40’’93. Côté dames, Bérénice Cleyet-Merle a tenté de partir à l’assaut des minima pour les championnats d’Europe (4’09’’00), avec Aude Clavier en lièvre de luxe. Elle a finalement coincé en fin de course mais a réussi à préserver son avance, pour s’imposer en 4’15’’41 une courte tête devant Sarah Madeleine (EFCVO, 4’15’’78).

Enfin, côté sprint, le 200 m féminin est revenu à Maroussia Paré (US Talence) en 23’’62, devant la junior Orane Doumbe (Athlé 91), qui bat son record en 23’’62 et grimpe au quatrième rang des bilans U20 tous temps. Le titre masculin revient à Hachim Maaroufou en 21’’02, après des séries lors desquelles quatre concurrents étaient descendus sous les 21’’.

Mauchant au poteau

Meilleure performeuse avant le début du concours de longueur, Tiphaine Mauchant (Amiens UC) a fait respecter son rang, mais a dû en passer par un dernier essai salvateur, mesuré à 6,56 m. Une grande première dans sa carrière, qui sauvait un concours « techniquement nul, le moins bon de la saison. » A la hauteur, la palme est revenue à Matthieu Tomassi (Entente Bassin Athlétisme), au nombre d’essais face à Raphaël Moudoulou (Amiens UC), tous les deux ayant franchi 2,15 m.

La rédaction
Photos : © S. Kempinaire - P. Millereau / KMSP / FFA

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