En l’espace d’une petite semaine aux États-Unis, Azeddine Habz a battu coup sur coup trois records de France en salle. Celui du 3000 m, en 7’31’’50 à Boston (amélioré depuis par Jimmy Gressier) le 2 février, et ceux du mile (1609 m) et du 1500 m (3’32’’24 dans la même course), dimanche, à New York. Mieux, en 3’47’’56, il s’est également emparé du record d’Europe du mile en devenant le cinquième meilleur performeur mondial de tous les temps. Nul doute qu’à Liévin, jeudi, il devrait encore faire parler de lui.

Trois records de France en salle et un record d’Europe en l’espace d’une semaine, vous ne vous attendiez sans doute pas à entamer votre saison hivernale d’une si belle façon ?

Non pas à ce point ! Même si ça se passait très bien à l’entraînement et que je savais que je pouvais faire de belles choses aux États-Unis, je n’avais quand même pas imaginé pouvoir battre le record d’Europe. Je savais que j’avais les moyens d’améliorer le record de France du 3000 m, mais j’ai été très surpris sur le mile, car j’avais effectué une prépa 3000 m et je n’avais réalisé qu’une seule séance spécifique 1500 m avant ce mile. J’y allais d’ailleurs juste pour essayer de faire 3’50’’ - 3’51’’ alors que là, je cours en 3’47’’56 et je bats le record d’Europe de cinq secondes. C’est incroyable !

Comment avez-vous vécu cette course ?

J’étais très stressé car c’est une des courses les plus relevées du circuit indoor, sur l’une des pistes les plus mythiques des États-Unis, l’Armory Track. Il y avait une grosse ambiance à l’américaine. Ça encourageait dans tous les sens. On a passé près de vingt minutes en chambre d’appel à se regarder, un peu comme avant un grand championnat. Pendant la course, j’ai écouté ce que l’on s’était dit avec mes deux coaches et j’ai réussi à poser le cerveau pour ne penser à rien. J’ai débranché totalement et j’ai suivi mes adversaires. Quand j’ai vu que je passais au 1200 m en 2’50’’, je me suis dit que c’était bon, que j’avais le record. Et j’ai tout donné dans le dernier tour. C’étaient vraiment les conditions idéales : une course vraiment rapide, avec trois gars qui avaient déjà couru en 3’47’’.

Vous avez passé près de deux semaines aux Etats-Unis, qu’est-ce que cette expérience vous a apporté ?

Ce n’était pas la première fois que je courais outre-Atlantique. En 2023, j’avais déjà participé au mile sur route disputé sur la 5e avenue à New York, ainsi qu’à celui du meeting d’Eugene, où j’avais d’ailleurs déjà battu le record de France absolu en 3’48’’64. Là, je descends sous les 3’48’’ en indoor. Ça a été une super expérience, très enrichissante. J’envisage d’ailleurs de la renouveler l’année prochaine, en essayant même de programmer quelques stages là-bas pour améliorer mon anglais. Car c’est très intéressant de sortir de l’Europe, de changer de spots d’entrainement et de se confronter aux Américains et aux Australiens.

À quoi attribuez-vous ces belles performances ? Avez-vous le sentiment d'avoir passé un nouveau cap ?

Oui, je me sens beaucoup mieux après une saison estivale lors de laquelle ça ne s’est pas du tout passé comme je l’aurais souhaité. A 100 % de mes capacités, je sais que j’avais les moyens d’aller en finale des Jeux olympiques pour faire un top 5 ou un top 6. Mais j’étais blessé à Paris. On a donc changé pas mal de choses. J’ai commencé par travailler avec un ostéopathe espagnol, qui m’a aidé à régler mes problèmes aux mollets. Car depuis trois ans et l’arrivée des nouvelles pointes, j’étais régulièrement contrarié par des blessures. On a aussi mis l’accent sur la récupération mais aussi sur la préparation physique, depuis la reprise en octobre. Ça m’a permis d’effectuer quatre mois de travail constant, sans blessure, J’ai aussi passé plus de temps en stage : au Maroc, puis en Afrique du Sud avec la Fédération, et enfin au Portugal en janvier. Le soleil, le travail, la chaleur, l’enchaînement des séances sans blessure, ça m’a permis de monter en puissance tranquillement et d’être en forme en ce début d’année. Enfin, avec mes coaches, on a aussi décidé de miser davantage sur du plus long cette année en prépa. C’est pour ça que j’ai couru un 10 km début janvier à Nice (27’44’’) et que j’ai visé le record de France du 3000 m. Il y a des coureurs de 1500 m qui ont un profil 800/1500 et d’autres davantage un profil 1500/3000. C’est vers cette deuxième option que je me dirige. En janvier, je n’ai fait qu’une seule séance spécifique 1500 m car j’étais davantage sur une prépa 3000, et je me rends compte que ça m’a effectivement permis d’être plus à l’aise sur la durée.

Quel va être l’objectif à Liévin ce jeudi, après être passé en 3’32’’24 au passage du 1500 m lors de votre mile ?

Je n’ai pas encore discuté avec Jean-Pierre Watelle, l’organisateur du meeting, mais le connaissant, je pense qu’il va me demander de prendre des risques. Si j’arrive à courir en moins de 3’32’’, ça serait vraiment bien. Sur le mile, je suis le cinquième meilleur performeur mondial de tous les temps devant la légende Hicham El Guerrouj. Ça fait un peu peur ! Quand j’ai commencé l’athlétisme je n’aurais jamais pensé dépasser chronométriquement des athlètes comme lui. C’est un peu comme si un sprinter se retrouvait devant Usain Bolt aux bilans du 300 m.

Et après Liévin, quelles seront les grosses échéances de la saison ?

Mon objectif est de doubler 1500 m et 3000 m aux championnats d’Europe en salle. Il faudra d’abord passer par Miramas pour valider ma qualification. En revanche, je ne me projette pas sur les Mondiaux indoor cette année. C’est loin dans la saison. Je pense que je ferai donc une coupure après les Europe, pour ensuite reprendre tranquillement la prépa pour les championnats du monde de Tokyo cet été. Au Japon, mon objectif sera de me concentrer sur le 1500 m.

Véronique Bury pour athle.fr