A 41 ans, Franck Chevallier sera nommé officiellement cette semaine nouveau Directeur Technique National de l’athlétisme français, en remplacement de Robert Poirier, désormais retraité. Ancien international sur 110 m haies, entraîneur et cadre technique depuis l’âge de 24 ans, le Provençal (né à Paris, Franck Chevallier était jusqu’à aujourd’hui directeur du pôle France de Provence) veut inscrire son action dans la même ligne que celle de son prédécesseur. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir des idées précises sur les actions à mener au sein de la DTN. Entretien.
Athle.com : Franck Chevallier, on peut considérer votre arrivée au poste de DTN comme une surprise, dans la mesure où vous n’étiez pas candidat lors du premier appel à candidatures. Qu’est-ce qui vous a amené à vous présenter à ce poste ? Franck Chevallier : Je ne m’étais pas présenté lors de ce premier appel à candidatures essentiellement pour des raisons familiales. Je suis marié, j’ai deux enfants assez jeunes, âgés de 12 et 9 ans. Pour eux, avoir un papa DTN n’aurait pas forcément été une chose facile à vivre… C’était donc avant tout un choix familial, et non pas parce que le poste ne m’intéressait pas. J’aime l’athlétisme passionnément, c’est ma vie depuis trente ans maintenant. Ce choix était aussi motivé par le fait qu’à ce moment-là, Olivier Gui était pressenti pour le poste de DTN. Et il était à mon sens le candidat parfait, qui portait des idées novatrices. Nous en avions discuté, et il était d’ailleurs question que je collabore avec lui s’il était nommé. Sa candidature et ce cadre d’action me convenaient donc parfaitement.
- C’est lui qui, après avoir renoncé, vous a incité à vous présenter ? - Pas du tout, non. En fait, j’ai trouvé le comportement de certains de mes collègues un peu déplacé par rapport à lui (ndlr : certains cadres techniques avaient contesté qu’une personnalité qui n’avait pas un passé de technicien puisse être nommé DTN). Je trouvais désagréable, pour l’ensemble des cadres techniques, d’être associés à l’attitude de quelques-uns d’entre eux. J’ai estimé qu’on ne pouvait pas éternellement critiquer sans proposer d’alternatives. Nous en avons discuté avec plusieurs de mes collègues, j’en ai aussi beaucoup parlé avec mon épouse, qui est elle aussi sensible à l’athlétisme pour avoir été athlète de haut niveau (ndlr : il s’agit de Nathalie Simon, l’ancienne spécialiste de 400 m, qui termina sa carrière internationale aux Jeux de Séoul en 1988). Finalement, j’y suis allé… Mais je n’aurais pas présenté ma candidature si je n’avais pas pensé avoir derrière moi des soutiens et des atouts favorables, une équipe solide prête à m’épauler. Et Olivier Gui m’a assuré que, même s’il n’était pas à la DTN (ndlr : l’ancien candidat est l’un des responsables d’Adidas France, partenaire de la FFA), il serait à fond derrière moi.
- Votre équipe, justement. Vous avez annoncé que vous annonceriez sa composition fin mai. Doit-on s’attendre à une rupture ou une continuité avec la précédente équipe, celle de Robert Poirier ? - Je souhaite que les choses s’inscrivent dans la continuité. J’adhérais pleinement aux choix et à la politique de Robert Poirier – je faisais d’ailleurs partie de la DTN. Maintenant, il est évident qu’il y a toujours, dans ce genre de situations, une part de renouvellement dans une équipe.
- L’échéancier imposé aux nouveaux DTN fait que vous ne pourrez pas être totalement opérationnel avant cette fin du mois de mai. N’est-ce pas trop handicapant pour mener votre action à bien ? - Il existe effectivement des raisons administratives qui vont peser sur le calendrier. Un DTN, en général, est nommé quatre à six mois avant que son équipe ne soit définitivement en place, ce qui peut générer des incertitudes. Je vais par exemple devoir observer à partir de ma nomination officielle, qui devrait intervenir cette semaine, un mois de stage dispensé par le Ministère et par lequel doivent passer tous les DTN qui viennent d’être nommés. Cela va décaler le début de notre action, c’est un peu délicat. Mais d’aussi loin que je me souvienne, il n’y a jamais eu de rupture dans le fonctionnement de la DTN dans ces moments-là. Les gens en place, et qui le restent tant que rien n’a changé, sont animés par suffisamment de passion pour bien remplir leurs rôles. En l’occurrence, pour la saison 2005, les choses ont été préparées suffisamment en amont par l’équipe en place pour que tout se passe bien.
- En quittant la fonction, Robert Poirier a dit qu’il n’avait pas imaginé, en entrant dans le costume de DTN, que le poste puisse être aussi exposé, en particulier sur le plan médiatique. A quoi vous attendez-vous ? - Quand on a vécu l’impact des Championnats du Monde Paris Saint-Denis 2003, on ne peut pas douter que l’athlétisme représente quelque chose de fort pour les gens. Il existe une forte attente sur l’équipe de France d’athlétisme, qui reste le sport olympique n°1. Les Français sont tous athlètes – même s’ils ne le sont pas dans le sens où on peut l’entendre, en prenant une licence, mais au moins dans leurs cœurs. Il suffit de voir l’impact des diffusions de l’athlétisme à la télévision pour s’en convaincre. Mais j’ai bien conscience de cette forte attente, oui… Après, des turbulences, il y en aura, tout simplement parce qu’il y aura toujours des aléas dans le sport. Si ce n’était pas le cas, ce serait juste un spectacle. Le jeu du DTN est aussi d’anticiper ces turbulences en amont. Mais je crois aussi qu’un homme seul ne peut pas être porteur de tels enjeux, de telles contraintes. Un homme seul ne fait jamais l’unanimité, il a toujours des détracteurs. C’est pour cela que mon action devra s’appuyer sur une équipe, qui la portera. Dans ce cadre, c’est plus facile.
- Vous avez annoncé, dès votre nomination, quelques axes importants de votre projet, parmi lesquels un suivi personnalisé pour les meilleurs jeunes, et un effort particulier sur la détection... - J’ai été quatre ans durant responsable de la filière d’accès au haut niveau, filière dont je suis d’ailleurs moi-même issu. Lorsque j’étais athlète au fin fond de ma Bretagne, j’ai eu la chance d’avoir un entraîneur, Jean-Marie Pasquin, qui m’a dit que je devais aller voir ailleurs si je voulais progresser encore. Je lui rends encore hommage, car s’il n’avait pas tenu ce discours, je n’en serais pas là aujourd’hui… Il m’a permis de partir en section sports-études à Font-Romeu… Je sais donc ce que la filière de haut niveau peut apporter à un jeune. Avec Olivier Belloc (ndlr : responsable jeunes à la DTN), nous avions mené diverses études lorsque j’étais responsable de l’accès aux filières. Elles faisaient ressortir que, alors que les jeunes étrangers s’entraînent nettement plus lorsqu’ils passent de juniors à espoirs, la charge d’entraînement des Français reste la même. Par ailleurs, si l’on regarde les juniors Français qui font partie des quinze meilleurs Européens, on s’aperçoit que seulement un sur deux retrouve le même niveau une fois en senior. C’est faible. Et si ce junior choisit de ne pas entrer dans une filière de haut niveau, il n’a qu’une chance sur vingt d’y parvenir ! Cette tranche de vie, ce passage de junior à espoirs, est déterminant car c’est là que l’athlète a à effectuer des choix de vie. Et s’il n’est pas encadré par des proches qui ont une bonne connaissance du dispositif mis en place, qui ne l’oriente pas convenablement, beaucoup peuvent décrocher. Mais cela relève plutôt d’une mauvaise information. Les bénévoles, dans les clubs, ne peuvent plus avoir, à un moment donné, la disponibilité nécessaire. En pôle, les encadrants sont là pour permettre aux plus doués d’arriver au haut niveau. Or je dis souvent que les résultats d’une équipe de France sont le fruit du travail effectué huit ans auparavant. S’il l’ont veut s’en sortir en 2012, il faut donc y travailler tout de suite, y compris au niveau de la détection.
- Vous avez aussi évoqué la création d’un poste dont on parle depuis quelque temps, celui d’un directeur de l’élite. Qu’est-ce que cette notion recouvre, selon vous ? - On a tous pu suivre et constater l’évolution de l’athlétisme. Aujourd’hui, pour les tout meilleurs athlètes – qui ne représentent d’ailleurs qu’une partie seulement de l’équipe de France – l’athlétisme revêt des enjeux financiers importants. Pour eux, c’est un investissement tellement lourd qu’ils ne peuvent pas le prendre à la légère. Ils peuvent partir deux mois en stage au Kenya pour se donner les moyens de poursuivre leur carrière. Si on ne prend pas ces éléments en compte, on peut se couper de ces athlètes. Ce serait dommageable. Tout le monde a conscience du besoin d’un dispositif adéquat. J’imagine en fait une équipe qui répondrait aux athlètes sur diverses questions (management, fiscalité, image…). Pour eux, l’athlétisme est un métier. Ils doivent par exemple aussi savoir qu’il leur faut par ce biais bénéficier d’une couverture sociale et donc cotiser, s’il ne veulent pas ensuite travailler jusqu’à 90 ans pour leur retraite. Tout ça nous oblige à réfléchir à un dispositif que l’on placera autour d’eux.
- Vous avez vous-même été athlète de haut niveau, avant de commencer très jeune une carrière de cadre technique… - En fait, je fais partie d’une génération arrivée sur 110 m haies un peu après Guy Drut, au début des années 80. La discipline était un peu moins performante qu’auparavant. Je suis de la même génération que Stéphane Caristan : nous nous tirions sans cesse la bourre en cadets. Même si par la suite il m’a laissé derrière… J’ai profité de ce contexte favorable pour me qualifier à 20 ans, en 1984, pour les Jeux de Los Angeles. Mais en junior, je m’entraînais déjà six à huit fois par semaine. Les choses se sont gâtées quand la génération suivante, très talentueuse, celle des Tourret, Philibert, est arrivée. J’ai encore cherché à me qualifier pour les Jeux de 1988, mais j’avais passé l’année précédente le professorat de sport. On m’a proposé au même moment un poste de cadre technique en Ile-de-France. Et j’avais déjà la fibre : je demandais toujours à Fernand Urtebise, qui m’entraînait à l’époque, le pourquoi du comment en termes d’entraînement. C’est ainsi que j’ai quitté, à 24 ans, la carrière d’athlète pour aider Fernand à entraîner. C’était un choix parfaitement assumé. Je suis ensuite allé vivre dans en Provence, où j’ai occupé le poste de CTR.
- Vous allez donc revenir sur Paris pour vous glisser dans votre nouveau costume ? - J’y aurai un pied-à-terre, car c’est indispensable, mais ma famille restera dans le Sud.
- Faisons un peu de fiction, pour finir : qu’est-ce qui, dans quatre ans, ferait de votre mandat à la tête de la DTN une réussite ? - Avoir placé la FFA à la hauteur de ce qu’est l’athlétisme dans le cœur des gens. Et avoir amené l’équipe de France à exprimer son potentiel au maximum. Ce n’est pas vraiment un objectif en terme de nombre de médailles, de performances ou de nombre de licenciés. Mais plutôt des idéaux à atteindre.
Propos recueillis par Cyril Pocréaux pour athle.com
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