La ville marocaine d’Ifrane, située dans le Moyen Atlas, a accueilli pendant une grande partie du mois d’avril un stage organisé par la Fédération Française. La quinzaine d'athlètes tricolores présents* y a bénéficié de conditions d’entraînement exceptionnelles et ont pu s’entraider en pleine préparation de la saison d’été. L’occasion de découvrir en compagnie de cinq d’entre eux ce temple du demi-fond mondial.
Ifrane. Un nom aussi mythique que controversé. Dans cette ville du Moyen Atlas aux allures de petit paradis touristique, située à une altitude de 1700 m, le coureur et l’habitant se confondent. Venus du Maghreb mais aussi d’Ethiopie, de toute l’Europe et bien sûr de France, les athlètes sont irrésistiblement attirés par l’aura d’un lieu fréquenté par les plus grands demi-fondeurs, à commencer par le « roi » incontesté du 1500 m, un certain Hicham El Guerrouj En avril, la Fédération Française d’Athlétisme y a organisé un stage de trois semaines réservé aux meilleurs demi-fondeurs et fondeurs hexagonaux. « Bien sûr, on est obligés de se poser des questions, explique Philippe Dupont, manager national du demi-fond et présent sur place. Mais mon leitmotiv, c’était que, quoi qu’il arrive, les athlètes iraient d’eux-mêmes à Ifrane. Alors autant que la Fédération soit présente dans le cadre d’un stage structuré avec un vrai encadrement. Nous avons préféré prendre les devants. Et les athlètes ont été bien réceptifs. »
A l’heure où nous écrivions ces lignes, au crépuscule d’un après-midi gorgé de soleil, cinq d’entre eux venaient de quitter quelques heures plus tôt les lieux, pour s’envoler depuis l’aéroport de Fès vers la France. Mahiedine Mekhissi, Nouredine Smail, Guillaume Eraud, Abdeslam Kenouche et Abdelkhader Bakhtache ont partagé pendant un peu moins de quatre semaines le même appartement sobre et fonctionnel au cœur du centre-ville d’Ifrane. Adversaires sur la piste, spécialistes du 800 m, du 1500 m ou du 3000 m steeple, ils en ont bavé ensemble sur les nombreux parcours fréquentés par les athlètes et sur la piste de 400 m aux tribunes couleur orange. Un stade champêtre offrant une vue de rêve sur lequel Hicham El Guerrouj hier, les marathoniens Abderrahim Goumri et Jaouad Gharib aujourd’hui, enquillent les bornes à n’en plus finir. Le dernier nommé aurait ainsi réalisé une monstrueuse séance de soixante-quinze 400 m à la suite en 1’04-1’05 dans le cadre de sa préparation du marathon de Londres, une course qu’il a terminée à la troisième place. Le teint bronzé des pistards tricolores, à l’heure de partager le thé du départ avec Abdellatif Meftah, international français sur semi-marathon l’an dernier, parle de lui-même. « Je n’étais jamais venu et j’ai été surpris des conditions météo, témoigne Abdeslam Kenouche. A part un ou deux jours, nous avons eu le reste du temps un climat magnifique. »

Footing au milieu des moutons Le temps, c’est l’atout numéro un d’Ifrane. La température se rapproche régulièrement des 30 ° C en plein mois d’avril. A la recherche des bénéfices de l’altitude, les demi-fondeurs français plébiscitent aussi Font-Romeu, dans les Pyrénées. Mais là-bas, la neige peut venir encore jouer les trouble-fêtes à la fin du printemps. Autre différence entre ces deux terres d’athlétisme : l’altitude serait beaucoup plus dure à digérer dans l’Hexagone selon les athlètes. Les parcours d’entraînement d’Ifrane font l’unanimité par leur nombre et leur variété. Les footings légers démarrent souvent directement en ville puis se poursuivent dans un petit bois ombragé assez vallonné, sur un parcours santé ou sur un long plateau herbeux à proximité du stade, idéal également pour les fartleks. On y croise des moutons indolents, qui s’écartent brusquement au son des foulées des coureurs. Pour les sorties de plus d’une heure, il y a Michlifen, son herbe rase et son altitude à plus de 2000 m. Idéal pour le travail foncier privilégié par les cinq Français cités ci-dessus, qui chercheront un premier pic de forme dans le courant du mois de juin.
Ils visent cet été la qualification pour les Championnats d’Europe de Barcelone. Parfois sur la même distance comme Guillaume Eraud, Abdeslam Kenouche et Abdelkhader Bakhtache, tous candidats à une place sur 1500 m. Une concurrence qui ne se transforme en rivalité qu’en compétition. « En stage, on oublie qu’on est des adversaires, raconte l’Aixois Abdelkader Bakhtache, qualifié sur 1500 m lors des derniers Mondiaux en salle à Doha. On adapte même nos séances pour s’entraider. Quand on fait 20 x 300 m, chacun mène. Et ça suit derrière. » L’allure atteint alors les 15’’ au 100 m, voire même beaucoup moins sur les dernières répétitions avec une récupération d’une cinquantaine de secondes. « L’objectif, c’est que les entraînements servent à tout le monde », renchérit Nouredine Smail, champion d’Europe espoir de cross en décembre dernier. Au final, c’est presque une petite famille qui se forme, réunie vingt-quatre heures sur vingt-quatre à l’entraînement et en dehors. Pendant toute la durée de leur séjour, les cinq demi-fondeurs ont pu en plus déguster les bons petits plats de Rachida, cuisinière hors-paire. « C’est le côté famille, glisse Guillaume Eraud dans un sourire. Elle préparait les repas, aidait dans la maison. Elle faisait partie du groupe. Ne pas manger dans un self, ça change tout. »

Les doigts d’Abdellah Le champion de France Elite en salle 2009, de retour à l’entraînement après une déchirure de l’aponévrose en février dernier et une sciatique, est un habitué des lieux. « Je me sens un peu chez moi ici, confie-t-il. Je pourrais y vivre. Je maitrise un peu la langue, j’ai des amis comme Karim, le patron d’un restaurant, et Abdellah, le kiné. Tous les gens d’Ifrane aiment le sport et les athlètes. » Connaitre les bonnes personnes et les petits tuyaux est indispensable à l’heure d’envisager un stage dans le Moyen Atlas. Car tout se négocie, de la location d’un appartement à l’accès à la piste, gratuit pour certains, payants pour d’autres en nature ou en cash… Il vaut mieux également connaitre les bonnes adresses pour manger, afin de ne pas risquer l’intoxication alimentaire. Les Bleus ont d’ailleurs eu droit à un sherpa de luxe lors de leur séjour en la personne d’Irba Lakhal, spécialiste du 3000 m steeple intégré à l’équipe technique nationale par Philippe Dupont. Le Lillois né au Maroc s’est occupé de tout l’aspect logistique en plus de donner un coup de main sur le terrain. « Sans lui, ça n’aurait pas été pareil, note le manager national du demi-fond. Il a été un bon relais. Je le remercie pour son implication. »
Dans le grand salon marocain d’Abdelatif Meftah, la soirée touche à sa fin. Mais voilà que déboule Abdellah, le masseur aux doigts d’or, table dépliante sous le bras. Après le départ de la kiné officielle de la Fédération, Maryline Berthet, et de la plupart de la délégation tricolore, c'est lui que les athlètes vont voir. Guillaume Eraud et Nouredine Smail sont les heureux élus du soir. Chacun pendant une heure va pouvoir se relâcher et sentir s’envoler ses douleurs, de la tête au pied. Abdellah, 35 ans, est un bon marathonien, auteur d’un chrono autour de 2h20. Alors, quand il masse et appuie avec force sur les muscles, son visage affûté se crispe et la sueur fait son apparition. « Il est essoufflé, il donne tout son cœur », résume joliment Mahiedine Mekhissi. Mes meilleurs moments du stage, ça a été sur la table. Il connait l’athlétisme. » Entre les mains expertes d’Abdellah passent la majorité des meilleurs coureurs présents à Ifrane. A raison de 100 dirhams (10 euros) de l’heure, une somme déjà très importante au Maroc, il peut aujourd’hui vivre très confortablement et continuer à s’entraîner, quand son emploi du temps le lui permet. Les cinq demi-fondeurs français le quittent à regret. Eux se retrouveront très vite, dès la fin du premier tour des Interclubs dans un peu plus d’une semaine, pour un nouveau stage de deux à trois semaines. Cette fois du côté de Font-Romeu. Avec forcément un brin de nostalgie à l’évocation du soleil d’Ifrane, des plats de Rachida et des massages d’Abdellah.
Florian Gaudin-Winer pour athle.com
* Morhad Amdouni, Abdelkhader Bakhtache, Christine Bardelle, Otmane Belharbazi, Hassan Chahdi, Hind Dehiba Chahyd, Guillaume Eraud, Fanjanteino Felix, Abdelslam Kenouche, Irba Lakhal, Mahiedine Mekhissi, Nouredine Smail et Mounir Yemmouni. |